Lewis Trondheim est avant tout l’auteur de La Mouche, qui dédicace cet album des éditions du Seuil aux Rencontres de la bd de Bourg-lès-Valence en 2002. Souvenir d’enfance… À ce moment-là, il exerçait déjà sa prolifique carrière depuis plus de vingt ans… Il était aussi accompagné par Brigitte Findakly depuis presque dix ans.
Que ce soit en tant que dessinateur non-académique, scénariste hors-pair ou éditeur iconoclaste, Lewis Trondheim a toujours été dans la lumière, sous les projecteurs, volontairement ou non. Jusqu’à aujourd’hui, Brigitte Findakly est restée dans l’ombre des couleurs.
Inversion des rôles et consécration du couple avec Coquelicots d’Irak paru le 31 août dernier chez L’Association. Comme toujours, Trondheim est aux dessins et Findalky aux couleurs, mais le scénario est écrit à quatre mains, pour livrer des détails de l’enfance mossoulienne de la coloriste franco-irakienne.
Certains accomplissements de Lewis Trondheim doivent être considérés comme des évènements majeurs pour la bande dessinée1. S’y ajoute le travail d’orfèvre de Brigitte Findakly pour former un couple dont la carrière est absolument impossible à résumer en quelques lignes, sans faire de coupes franches. C’est pourquoi, en essayant d’être le plus concis possible tout en restant précis, voilà un petit récapitulatif significatif du travail de chacun, en tant que coloriste pour l’une et scénariste/dessinateur pour l’autre :
Brigitte Findakly | Lewis Trondheim |
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Avec Coquelicots d’Irak, sans sortir de la couleur, Brigitte Findakly se mesure au scénario. Lewis Trondheim à l’appui pratique son dessin spontané.
Épisodiquement, ce sont presque quinze ans de vie qui sont racontés dans l’œuvre. Des promenades en familles aux alentours de Mossoul, aux relations entre voisins, en passant par les bêtises d’enfance et la neige recouvrant le sol irakien, un grand nombre d’anecdotes est présenté. Loin d’être superficiel, le récit se trouve approfondi par un travail de recherches historiques assez complet, des réflexions sur la société irakienne et l’intimité des souvenirs d’enfance de B. Findakly. L’histoire présente les ruines de l’antique Mésopotamie, le Moyen-Âge des empires ottoman et perse, et les mouvements politiques irakiens du XXe siècle. La dictature et les coups d’État sont donc illustrés, tout comme certains fonctionnements traditionnels de la société irakienne, notamment les rapports séculaires entre musulmans et chrétiens. Ce roman graphique autobiographique permet de mieux comprendre ce qu’était l’Irak et ce qu’il pourrait être sans les jeux géopolitiques vieux de cent ans2. En outre, Brigitte Findakly livre sa propre subjectivité aux lecteurs, à propos de la religion, de la famille et de son identité franco-irakienne.
Le zoomorphisme – style de prédilection de Lewis Trondheim – est évincé pour Coquelicot d’Irak. Adieu donc, la déstructuration des motifs récurrents de Floyd Gottfredson et Carl Barks. S’il reste minimaliste, le dessin voit apparaître les visages humains des membres de la famille de Brigitte Findakly. Le trait de Trondheim change donc, sans changer vraiment… C’est sans aucun doute, une nouvelle façon de « multiplier les formes de narration »3. Cet autodidacte de toujours surprend une nouvelle fois, s’accordant à la poétique du récit composé en coordination avec Findakly. Les couleurs de la franco-irakienne, pastels, douces mais éclatantes, apportent la touche finale à son témoignage : cerise sur le gâteau.
Coquelicots d’Irak est le roman graphique immanquable de la rentré. Il apporte de nouvelles perspectives vis-à-vis de l’Irak et du Moyen-Orient, ce qui est indéniablement bénéfique par les temps qui courent. Les pinceaux de Brigitte Findakly se sont très bien accordés aux crayons de Lewis Trondheim, pour un exposé mélodieux, beau et spontané.
Poésie, politique et polychromie, tous en librairie !
Coquelicots d’Irak © 2016, L’Association, Brigitte Findakly et Lewis Trondheim
23×17 – 112 pages – Broché – Quadrichromie
19€
1 Lewis Trondheim fonde notamment L’Association, en 1990, avec Jean-Christophe Menu, David B., Stanislas Barthélémy, Mattt Konture, Patrice Killofer et Mokeït. Il collabore également à la création de l’Ouvroir de bande dessinée potentielle (OuBaPo) en 1993, en compagnie d’Anne Baraou, Thierry Groensteen, Étienne Lécroart, François Ayroles, Gilles Ciment, Jochen Gerner, Patrice Killofer et Jean-Christophe Menu.
2 Pour mieux comprendre la géopolitique en place au Moyen-Orient il faut prendre conscience de l’importance des accords Sykes-Picot dont Coquelicots d’Irak marque le centenaire. Correspondants à la chute de l’Empire ottoman, ces accords doivent servir de base de réflection.
3 À lire dans une interview d’octobre 2009 menée par Loïc Massaïa pour du9.org.
Quatre articles de référence :
– Stylisée, poétique, Coquelicots d’Irak est la BD de la rentrée, d’Olivier Delcroix pour lefigaro.fr,
– Coquelicots d’Irak, de Benjamin Roure pour bodoï.info,
– Coquelicots d’Irak, l’Irak d’avant en BD, d’Anne Douhaire pour franceinter.fr,
– Coquelicots d’Irak, de Guillaume Clavières pour planetebd.com.
→ BONUS : un bon souvenir de Brigitte Findakly