Lectures Hebdomadaires

La bande dessinée, c'est tout !

« Le processus créatif résulte toujours
d’un emboîtement spontané
qu’on reconstruit après coup.
 »
Frédérik Peeters

Andreas Martens : l’auteur de Rork au 40ème F.I.B.D.

 


[L’entretien se déroule le 2 février 2013, aux alentours de 14H. Dans un restaurant d’Angoulême dans lequel nous nous sommes rendus après une séance de dédicaces d’Andreas Martens, au musée des Beaux-Arts d’Angoulême. Cette séance s’est déroulé de 10H à 13H30, nous sommes allés au restaurant à pied tout en discutant. Nous nous installons donc au bout d’une table réservée pour nous par Mme Diane Rayer, attachée de presse aux éditions du Lombard. Nous sommes quatre : Mme Isa Cochet, la coloriste d’Andreas Martens, M. Noël Mouillon, un fan, Andreas Martens et moi-même. La scène se déroule donc au fond du restaurant, dans un brouhaha ambiant.]



 

Adrien Vinay : Allons-y… Pourriez-vous me faire un petit résumé de votre parcours ? À partir du lycée ?

Andreas Martens : (il rit)

Je sais qu’on vous a souvent posé cette question, mais j’aimerai savoir : qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la bande dessinée ?

Et bien ce qui m’a donné envie de faire de la bande dessinée c’est la bande dessinée ! C’est-à-dire que j’ai toujours aimé ça. Petit, je voulais être architecte, après le bac, je voulais faire de la bande dessinée. J’ai commencé à dessiner à seize ans. Au début c’était en amateur, je faisais de petites histoires, ce n’était pas pour le dessin mais pour raconter des trucs. J’ai continué à dessiner et à un moment donné ça s’améliorait et je me suis dis « ouais… peut-être… ». J’ai dû faire mon service1, après le bac, et j’avais beaucoup de temps pour dessiner à ce moment-là… C’est après le service que je me suis vraiment dis « je vais faire de la bande dessinée », mes parents étaient d’accord, et je voulais aller à St Luc, à Bruxelles2… C’était la seule école qui faisait de la bande dessinée à ce moment-là. Et j’ai loupé l’inscription, donc j’ai dû attendre un an… Pendant ce temps-là je suis allé à l’Académie des Beaux-Arts à Düsseldorf pour prendre des cours. Donc j’ai pris des cours : pour apprendre essentiellement la perspective, et l’anatomie, mais ça ne me servait à rien parce que c’était très très mauvais. Mais j’ai appris la perspective quand-même. C’était un architecte qui donnait des cours et j’ai appris la perspective. L’année d’après je suis enfin allé à Bruxelles. À l’Institut St Luc, c’était un cours de trois ans. Pendant que j’étudié à St Luc, et un ou deux ans après, Eddy Paape3 a commencé à faire un cours de bande dessinée, un cours du soir et du week-end, dans une petite académie de quartier qui était à cinq-cent mètres de St Luc. Donc j’y suis allé aussi. C’est surtout là que j’ai appris beaucoup de choses, ce que je voulais apprendre, c’est-à-dire la technique, des trucs concrets. Par exemple qu’il ne faut laisser de la place dans les bulles autour du texte. Des trucs très concrets, très basiques. Mais c’est ça que je voulais : « ça il faut le faire, ça il ne faut pas le faire » et caetera, techniquement… Après je ne sais plus, au bout de six mois ou un an dans ce cours du soir Eddy Paape m’a demandé de travailler avec lui, parce qu’il aimait bien mes mises en page. Donc on a fait une histoire ensemble, sur un scénario d’André-Paul Duchâteau4 où j’ai fais les crayonnés. Eddy Paape s’est occupé de l’encrage en corrigeant mon dessin et en en faisant un peu… du Paape quoi. Ce travail a été publié dans le Journal de Tintin5 et c’est comme ça que j’y entré. Sans le moindre effort ! Une fois qu’on avait fini cette histoire j’ai demandé si je pouvais présenter quelque chose moi-même et j’ai fais la première histoire de Rork, la première histoire courte.

Avec la maison effondrée ?6

Avec la maison effondrée oui. Chez Tintin, ils étaient preneurs, c’était parti ! J’ai essayé d’autres éditeurs dans la période qui a suivi, surtout quand j’habitais à Paris à partir de 78, mais je suis resté au Lombard sans trouver mieux. Pour moi c’était une maison classique, mais je ne sais pas, je m’y sentais bien et ils m’ont toujours laissé faire ce que je voulais. Ils n’ont jamais insisté sur quelque chose : « il faut faire ci » ou « il faut faire ça »… J’étais libre de ce que je voulais faire, et j’ai fait ce que je voulais faire. Donc, j’ai commencé à explorer un peu. Parce qu’au début je voulais faire de la bande dessinée classique : un héros et puis voilà. Quand Delcourt a commencé à faire de l’édition – j’y pensais déjà avant qu’il soit éditeur – j’ai tout naturellement commencé à travailler pour lui aussi.

Rork, tome 1, planche 1 © Andreas Martens © Le Lombard

Première planche de du tome n°1 de Rork. Parue en 1978, dans le 47ème numéro du Journal de Spirou.

Pour continuer autour de cette liberté de production vis-à-vis de votre travail, quand vous composez, à quel moment vous dites-vous « la planche est bonne, j’ai fini, je sais que c’est terminé » ? Comment ça se passe ? Comment la mettez-vous en place jusqu’au moment où elle est parfaite ?

Je ne suis jamais sûr que la planche soit bonne. C’est-à-dire que je vois toujours tous les défauts, tout ce qui ne va pas en fait, dans une planche. Quand je traverse l’exposition7, surtout sur des planches récentes, je vois tous les défauts… Sur les planches plus anciennes beaucoup moins, j’ai pris du recul avec le temps qui passe, je suis un peu plus indulgent disons, avec moi-même quand j’avais trente ans ou quarante ans. Je suis très systématique en fait. Quand je travaille je fais un scénario, image par image avec les dialogues, tout est écrit avant, j’ai contrôlé les fautes d’orthographe et caetera : donc quand je commence à mettre le texte dans les bulles il n’y a déjà plus de fautes d’orthographe, en principe… Bon, il y en a une ou deux qui m’échappent de temps en temps mais en général je n’en fais pas ! En revanche, je décide de la mise en page au moment où j’attaque la planche : quand je fais la cinquième planche je ne sais pas quelle allure aura la septième par exemple, aucune idée ! Je fais tout sur la planche, je ne fais pas de croquis, juste des carrés pour les cases. Après je dessine. Ça m’arrive de faire un petit croquis quand je n’y arrive pas trop, quand y’a quelque chose qui coince bien sûr, mais sinon je travaille tout sur la planche, directement. Je commence par les cadres, au moins c’est déjà ça qui est fixé. En fait, une fois qu’il y a les cadres ça ne bouge plus. Certaines modifications peuvent être faites après mais c’est très rare. Ensuite je rentre dans les cadres : je mets les textes, image par image, parce que les textes ont une place prédéfinie. Si je fais le dessin d’abord il n’y aura plus assez de place pour le texte : donc d’abord les bulles. Ça, c’est des techniques que j’ai appris chez Paape, c’était vraiment : « on met d’abord les bulles et après tu vois ce que t’as comme place pour le dessin ». Enfin, je dessine, toujours en fonction de la case d’avant et de celle d’après, pour que le mouvement des personnages, de la planche, des regards, que ça soit cohérent, que se passe à la suite. Après, si je veux freiner la lecture je fais tout dans l’autre sens, je mets beaucoup de détails pour qu’on s’y attarde par exemple. Il y a des moyens de diriger un peu la lecture. Enfin, on ne dirige jamais rien, c’est le lecteur qui décide, mais on essaie.

2013_02_02 - Andreas

Andreas Martens devant l’entrée de l’exposition qui lui était dédiée.

 


[Le serveur du restaurant interrompt l’entretien pour prendre la commande. Je tente donc de revenir sur le sujet du mieux possible]


 

Hum… Après les cadres, vous mettez les textes, ensuite vous dessinez pour créer un certain sens de lecture. Un sens que vous concevez au moment de faire la planche. Justement, lorsque vous faites votre planche, à quel moment savez-vous qu’une case est définitive ? À quel moment vous dites-vous « la case, c’est celle-là, je passe à la suivante » ?

Quand je l’ai finie ! (nous rions)
Vous savez, faire quarante-six planches, en gardant un sens, en racontant une histoire – et avec des histoires très détaillées au niveau du dessin – à un moment, c’était un peu, juste des illustrations que j’alignais… Je passais une journée sur une image et la notion de narration se perdait. Donc, dans Capricorne, et dans Arq surtout, j’essaye d’avoir un certain rythme de travail pour ne pas perdre le fil. En moyenne, c’est deux jours par planche : une journée pour le crayonnée, une journée pour l’encrage. Je fais toujours deux planches en même temps pour voir les deux oppositions, pour voir la double page. Parfois j’arrive à mettre à l’encre sur les deux planches en une journée, et ça écourte un peu le travail. J’essaie d’aller à une certaine vitesse pour, justement, avoir cette impression de raconter. C’est un peu comme une écriture. Je n’ai pas trop de temps à m’attarder sur une image ou sur une idée : « est-ce que c’est bien ? est-ce que ce n’est pas bien ? ». Quand j’ai décidé comment sont placés les personnages, je dessine, je précise tout et hop ! Je passe au suivant… Je ne réfléchis pas à « est-ce que c’est bien ? est-ce que ce n’est pas bien ? ». Par contre, une fois que la page est faite, bien sûr, là je regarde… Parfois ce n’est même que le lendemain que je regarde, avant de me mettre à l’encrage, et je me dis « tiens, là y’a un truc qui ne va pas ». En général je le sais. Je le sais le soir en me couchant, je sais que là, il y a quelque chose qui ne va pas et que je vais le refaire le lendemain. C’est relativement rare aussi : ça arrive peut être deux/trois fois par album. Donc… Généralement ça coule en fait. Quelques fois ça donne des choses que je n’ai pas prévues. Et justement, je ne veux pas tout contrôler donc je laisse faire… Du moment qu’on suit bien l’histoire.

En fait, vous essayez de rendre vos bandes dessinées faciles à lire ?

Le plus possible oui.

En général, les bandes dessinées, sont-elles toutes simples à lire ?

Non, toutes les bandes dessinées ne sont pas simples à lire…
Un bon exemple c’est Cyrrus8, on la lit l’air de rien, il se passe des choses comme dans une bande dessinée classique mais à la fin on n’a rien compris. En fait à la fin on peut se poser la question : « qu’est-ce qui s’est passé ? ». Elle n’est pas aussi simple que ça à lire, il faut la lire différemment. Il faut y revenir. Il faut bien regarder ce qu’il se passe dans les images. Parce que quand on a l’habitude de lire des bandes dessinées ça va très vite : vous lisez un Blueberry9, vous comprenez très bien, Charlier avait des textes hyper longs qui expliquaient déjà tout ce qui se passe. C’est comme Hermann qui est très fluide dans sa lecture, ça se lit très bien comme ça. Mon travail, il est possible de le lire comme ça, mais ce n’est pas la bonne façon de le lire, c’est trop facile. En réalité, il faut bien regarder, il faut bien observer ce qu’il y a dans les coins, regarder qui est le personnage, où sont les regards… Quand on lit une première fois, généralement une relecture devient nécessaire pour certains bouquins. Pour d’autres non.

Pensez-vous qu’il y a une « recette » sur laquelle reposerai la narration de toute bande dessinée ?

Eh bien c’est une suite d’images : c’est de la « bande », « dessinée ». C’est une suite d’images qui raconte quelque chose… Oui, oui il y a bien quelque chose. Sauf pour certaines oeuvres : la Cage de… Je ne sais pas si vous connaissez, La Cage de Vaughn-James10 par exemple. C’est hyper inconnu comme truc ! Dans les années 80, un anglais a écrit cette bande dessinée en noir et blanc. Elle se compose d’une seule image par planche, par page, sur le côté droit de la double-page, et il y a un petit texte au-dessus. En fait c’est du nouveau roman en bande dessinée. C’est-à-dire que c’est une histoire où il n’y a pas de personnage, il n’y a que des éléments de décors qui commencent à flotter… Enfin c’est très très étrange… Au début vous ne comprenez, rien ! Et pourtant il faut le lire, une première, une deuxième, une troisième page et caetera, comme une bande dessinée. Disons, pour entrer dans son système : il fait un gros plan par exemple, un plan sur un paysage avec une sorte de clôture et il y a un bâton avec un papier blanc autour, puis il fait un zoom sur le bâton avec le papier blanc, et tout d’un coup la page suivante est blanche. En fait on est dans le papier blanc sur le bâton ! Il faut s’imaginer tout le décor autour. Ça, c’est un peu une sorte d’introduction de son oeuvre, il faut se méfier, après ça démarre… C’est super compliqué… Au début je n’ai rien compris et j’ai toujours pas tout compris d’ailleurs ! Il faut vraiment regarder tous les détails, je l’ai pas lu à ce point là.

Ce que vous voulez dire, c’est qu’il faut accorder tout se qui compose la bande dessinée, non ? Lier du mieux possible images, textes et blancs ? Dans vos compositions, vous êtes systématique, mais n’y a-t-il pas également quelque chose d’instinctif ?

Oui, bien sûr il est question d’accorder tout ça. Avec le temps il y a l’expérience, on sait ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Aujourd’hui, je ne sais plus exactement comment je fais. Enfin je sais encore comment je travaille bien sûr, mais il y a des choses pour lesquelles je ne me pose plus de question. Je les fais vraiment sans réfléchir. Je sais qu’il y a certaines choses qui vont fonctionner et je les ai intégrées, des techniques de narration. Donc, je me concentre sur ce que je n’ai jamais fait avant. Et ce n’est pas toujours planifié, parfois une planche suggère quelque chose, et je me dis « tiens, là je pourrais faire ça ». Je peux faire une brisure plus large entre deux images par exemple, il y a un centimètre et demi d’espace pour permettre un arrêt à l’oeil. J’organise des changements de scènes aussi. Du moment que l’oeil suit dans la page, le bon ordre des images, on peut tout faire. On peut faire de la lecture de droite à gauche, de bas en haut, enfin tout ce qu’on veut. Tant que le but reste de faire lire le lecteur. Parfois, certaines choses s’imposent. Pour prendre un exemple précis, j’essaye toujours de faire remonter le lecteur : une fois qu’il est arrivé en bas à droite de la planche de gauche, il faut qu’il remonte pour recommencer en haut à gauche. Donc, soit je fais un regard qui va vers-là, soit un mouvement de trait, soit un bras ou quelque chose comme ça qui y va, soit une image en longueur où on voit grimper quelqu’un, pour que le lecteur grimpe et aille vers-là lui aussi. Parfois c’est le texte va amener le lecteur à tourner la page, mais c’est plus difficile de lui suggérer ça…

Vous avez de véritables techniques en fait ?

(il rit)
Pas vraiment, mais de temps en temps… J’imagine que j’ai fait Astor11 qui lit un livre, et qui à ce moment là, dans la dernière image, il tourne la page et ça accompagne le lecteur. Je fais quelque chose dans ce genre. L’acte de lecture est très important pour la narration, j’essaie d’influencer cet acte dans mes planches. J’essaye…

Capricorne, tome 5, planche 19 © Andreas Martens © Le Lombard

Dizième planche du tome n°5 de Rork, intitulé Capricorne, récit croisé entre les deux personnage d’Andreas. C’est un premier exemple de l’utilisation de l’acte de lecture, comme c’est expliqué par l’auteur dans l’interview.

Rork, tome 5, planche 32 © Andreas Martens © Le Lombard

Trente-deuxième planche du tome n°5 de Rork, intitulé Capricorne, récit croisé entre les deux personnage d’Andreas. C’est un deuxième exemple de l’utilisation de l’acte de lecture, comme c’est expliqué par l’auteur dans l’interview.

Merci pour cette première partie concernant directement votre travail. J’aimerai aborder maintenant des thèmes plus généraux. Que pensez-vous du statut de la bande dessinée dans la société française ?

Elle m’arrange la place de la bande dessinée dans la société. Quand je suis parti d’Allemagne, la bande dessinée était quasiment inexistante. Il y avait des éditions de bandes dessinées étrangères bien sûr, mais pas beaucoup de production. Je n’aurai pas pu faire ce que j’ai fait en Belgique et en France, en Allemagne. C’était impossible. Or, son rôle, vers la fin des années 70, était déjà très important, la bande dessinée était déjà très importante en France. En fait, on doit tout à Astérix12 : Astérix a fait passer la bande dessinée des enfants aux adultes. C’était une bande dessinée qui pouvait être lue par des enfants, avec les personnages rigolos, mais elle pouvait aussi être lu par des adultes, avec les allusions politiques ou de société : les caractéristiques des peuples que les enfants ne captaient pas nécessairement. Je sais qu’en Allemagne l’arrivée d’Astérix a provoqué un choc, on en parlait au lycée d’Astérix. Alors qu’avant, on n’aurait jamais parlé de bande dessinée… Par exemple, dix ans avant, un professeur essayait de nous confisquer toutes nos bandes dessinées. Il nous avait dit « on va parler de bandes dessinées ! » et pour le dernier jour avant les vacances, « amenez tout ce que vous avez », il a récupéré toutes les bandes dessinées puis il les descendait complètement, c’était le début de la fin, il a demandé si quelqu’un voulait récupérer ses bandes dessinées mais personne n’a osé… C’était immonde ! On était jeune, j’avais onze peut-être… Mais moi, j’ai loupé ce jour-là, j’était parti un jour plus tôt en vacances et ça a sauvé toutes mes bandes dessinées. Pour revenir à Astérix, il faut savoir qu’en Allemagne ça s’est beaucoup plus vendu qu’en France : pour Astérix, à la sortie d’un nouvel album, c’était deux ou trois millions de ventes en Allemagne et un ou deux millions en France. Ça a été une sorte d’ouverture mais ça n’a pas eu les conséquences que les artistes et les éditeurs espéraient…

Je ne veux pas vous demander si vous êtes influencé mais à votre avis, est-ce que vous influencez d’autres auteurs ?

Je ne sais pas si j’influence, dans ce que je fais. Après, il y a des jeunes auteurs qui m’ont dit « vous faites partie des auteurs qui m’ont donné envie de faire de la bande dessinée ». Après, à quel niveau ça se situe, je ne sais pas. Je ne sais pas s’il y a des dessinateurs qui font du « sous-Andreas », ou s’il y a une influence qu’on voit vraiment… Une fois, j’ai lu un album et je me suis dit « tiens, ça ressemble à ce que je fais ! », et il y avait une interview sur internet, la question était posait à l’auteur mais il ne me connaissait pas…

Que pensez-vous de l’archivage des planches ? Pensez-vous que ce soit nécessaire ?

Non… Pour moi l’original ce n’est pas très important… Du moment que les bouquins restent en rayon. Ce sont les livres les originaux pour moi. Les planches originales, bien sûr, ça a une valeur. J’en vends parce que ça a une qualité. Ce n’est pas à conserver. Non. Par exemple là, en partant pour Angoulême, je me suis dit, « si jamais il y a un cambriolage chez moi, pendant mon absence, est-ce que ça me dérangerait qu’on me pique mes planches ? » et la seule chose qui me dérangerait ce serait qu’on me pique les planches que je viens de finir et qui ne sont pas encore publiées. J’ai quatre planches que j’ai mises sur une clefs U.S.B. et je les ai amenées. Bien sûr, ça me fera mal que mes originaux disparaissent quelque part, je m’en fous aussi. Ce n’est pas mon rôle de les conserver précieusement. Par contre je le fais ! Je suis ordonné, propre, je les mets dans des cartons.

En sachant que vous y êtes passé, qu’en est-il des écoles d’art ? Que pensez-vous de la place de la bande dessinée dans ces institutions ? Comme les Beaux-Arts par exemple ?

Ce serait bien que la bande dessinée y ait une place. St Luc c’est une école d’art classique, avec la peinture, la sculpture, le design, l’illustration et une petite section bande dessinée. Le problème des écoles d’art, c’est qu’ils essayent de faire de l’art. Alors que pour la bande dessinée au départ, il faut apprendre un certain artisanat. Il y a un moment voilà : il faut dessiner, dessiner et dessiner… Il y a eu des périodes, quand j’étais aux Beaux-Arts à Dusseldorf, je n’apprenais pas à dessiner : c’était conceptuel, c’était des installations, des trucs bizarres… Avec la classe dans laquelle j’étais au début, on ne faisait que discuter : du rôle des médias dans la communication, enfin je ne sais pas quoi ! Ça ne m’intéressait pas. Le problème des écoles d’art, c’est qu’elles deviennent vite prétentieuses et qu’elles essaient de faire quelque chose de particulier… En plus, leur discours c’était : « ce qui se fait dehors c’est mauvais, ce qui se fait chez nous c’est bien ». Je suis vraiment tombé des nues, au début, ils intervenaient sur Tintin, Pilote13 et Spirou14, et quand ils regardaient c’était : « ouais… ça c’est de la merde… ça c’est pas bon… ça c’est nul ». Il n’y avait que Moëbus15 et Hermann qui sortaient du lot, tout le reste c’était nul… Moi qui adorait tout, je n’avais aucun sens critique, j’aimai Michel Vaillant16 ou n’importe quoi ! C’était juste que j’adorais la bande dessinée. Plus tard, j’ai appris, quand-même à différencier. Malheureusement, cette attitude est restée à St Luc je crois. Il y a un type qui était avec moi dans cette école, son truc c’était « je veux faire de la bande dessinée, je veux en vivre » ce qui était l’antithèse de St Luc. Un jour, il a réussit publié quelque chose dans Spirou, dans une rubrique où des jeunes pouvaient essayer des planches. Ce jour là, il s’est fait engueuler à l’école, voilà.Pour moi c’était pareil. Enfin, pas exactement, mais à un moment donné, je faisais des mises en page un peu éclatées et ils aimaient bien. Un jour j’ai fais un quelque chose d’assez classique, avec des images qui se suivent parce que je voulais essayer quelque chose avec l’histoire, deux récits parallèles : un récit fictif et un récit réel qui se rejoignent à la fin. Bref, je m’essayais et j’avais choisi de faire ça en bande dessinée classique, et moi aussi je me suis fais engueuler : « c’est quoi ces mises en page ?! ». Ils ne demandaient même pas « qu’est-ce que tu veux faire ? » ou « qu’est-ce que tu essayes de faire ? », c’était tout de suite « c’est nul ! ».

 


[L’entretien arrive ici à son terme. Nous avons fini le repas en reprenant une discussion normale, non-enregistrée, avec Isa Cochet et Noël Mouillon. Cet entretien s’était très bien déroulé, comme une sorte de césure au milieu du festival. Avec ses caractéristiques non-formelles, autour d’un déjeuner, l’interview était détendue, un véritable instant de répit au milieu du stress et de la cohue du moment.]


 



1 En Allemagne, après le Hochschulreife, l’équivalent du baccalauréat, les allemands de dix-huit ans ont l’obligation d’effectuer un service militaire ou un service civile pendant un an.

2 L’École supérieure des arts St Luc, de Bruxelles est une école de formation à l’illustration et à la bande dessinée.

3 Eddy Paape (1920–2012) était un auteur belge de bandes dessinées (aventures, science fiction, fantaisie…), ses oeuvres les plus connues sont : Jean Valhardi, Marc Dacier et Luc Orient.

4 André-Paul Duchâteau (1925), alias Michel Vasseur, est un scénariste de bande dessinée (entre autre), son oeuvre la plus connue est Ric Hochet. Il a été rédacteur en chef du Journal de Tintin de 1976 à 1979.

5 Cette collaboration s’est effectuée sur La montre aux 7 rubis pour la série Udolfo, publiée en 1978 dans le Journal de Tintin, du numéro 50 au numéro 78. Le Journal de Tintin est un magazine hebdomadaire fondé en 1946 par Albert Debaty, Georges Lallemand, Raymond Leblanc et André Sinave, il est dédié à la bande dessinée. Ce périodique est créé conjointement à la maison d’édition Le Lombard chargée de sa publication.

6 Un siècle pour une maison est la première histoire mettant en scène Rork, personnage de la première série d’Andreas. Cette histoire a été publiée dans la Journal de Tintin en 1978, du numéro 47 au numéro 78. Si l’on en croit les dires d’Andreas, sa collaboration avec Paape et Duchâteau est antérieure à son travail sur Rork. Peut-être a-t-il commencé à travailler sur Udolfo avant de travailler sur Rork ? Et peut-être même que, terminée avant, l’histoire d’Un siècle pour une maison a été publiée avant celle de La montre aux 7 rubis ?

7 L’exposition dont il est question est Les Arcanes d’Andreas, ayant eu lieu du 31 janvier au 3 mars 2013 au musée des Beaux-Arts d’Angoulême.

8 Il est question ici, de la bande dessinée Cyrrus-Mill d’Andreas, éditée chez Les Humanoïdes Associés, puis rééditée chez Delcourt. C’est un récit fantastique où se lient passé et présent.

9 Blueberry est une bande dessinée de Jean Giraud, alias Moebius et Jean-Michel Charlier. On y suit les aventures de Mike Steven Donovan dit « Lieutenant Blueberry« , aux environs historiques de la guerre de Sécession. Chef-d’oeuvre du 9ème art, cette bande dessinée est éditée chez Dargaud.

10 Il est ici question de La Cage, proche d’une bande dessinée, ce nouveau roman de Martin Vaughn-James se construit sans histoire et sans personnage. Elle éditée chez Les Impressions Nouvelles.

11 Astor est un des personnage de la série Capricorne, la deuxième série d’Andreas, ce personnage est bibliothécaire.

12 Astérix, la fameuse série de bandes dessinées créée en 1959 par René Goscinny et Albert Uderzo, ces genies !

13 Pilote est un magazine français hebdomadaire fondé en 1959 par Jean-Michel Charlier, François Clauteaux, Charles Courtaud, René Goscinny, Jean Hébrard, Raymond Joly, René Ribière et Albert Uderzo, il est dédié à la bande dessinée adulte.

14 Le Journal de Spirou est un magazine hebdomadaire fondé en 1938 par JEan Dupuis, il est dédié à la bande dessinée. Ce périodique est publié par la maison d’édition Dupuis, fondée en 1922 par Jean Dupuis.

15 Jean Giraud (1938-2012) ou Gir pour la bande dessinée « classique » et Moebius pour la science fiction. C’est un auteur complet en bande dessinée : en tant que Jean Giraud ou Gir son oeuvre la plus célèbre est Blueberry, en tant que Moebius, il est possible de citer Le Garage Hermétique, Arzach ou L’incal. Il est l’un des co-fondateurs de la maison d’édition Les Humanoïdes Associés en 1974, qui publiera le mensuel Métal Hurlant à partir de 1975.

16 Michel Vaillant est une série de bandes dessinées créée par Jean Graton en 1957. Elle comporte aujourd’hui soixante-douze albums et est éditée par Dupuis.

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