Lectures Hebdomadaires

La bande dessinée, c'est tout !

« Le processus créatif résulte toujours
d’un emboîtement spontané
qu’on reconstruit après coup.
 »
Frédérik Peeters

Alain Henriet : l’habileté et la méthode

photo d'Alain Henriet

L’intrépide Alain Heniret, dessinateur de Black Squaw,
Dent d’ours, Damoclès, Pandora Box, Golden Cup, John Doe
(et j’en passe, beaucoup…), a bien voulu répondre à une interview pour lectureshebdomadaires.com ! De Bernie Wrightson à Alan Davis, voici une belle conversation avec Alain Henriet, habile et méthodique ! 

Quand as-tu commencé à faire de la bande dessinée ?

Sincèrement je ne sais pas. Comme beaucoup de dessinateurs j’ai toujours dessiné. D’ailleurs lors d’un détapissage chez mes parents on a découvert que j’avais couvert tous les murs de dessins, ce qui doit dater de mes 6 ans… À 9 ans j’ai confectionné mon premier album et je l’ai toujours d’ailleurs : Les Zilzils de l’espace !
Aussi loin que je me rappelle j’ai toujours aimé la BD.
Mes parents faisaient les marchés et je dessinais tout le temps dans la cabine du camion ou assis sur une caisse. À l’époque, je voulais déjà faire de la bande dessinée. Sans savoir si j’y arriverais ou pas.
J’ai acheté mes premiers albums toujours au marché on en trouvait beaucoup à ce moment-là, surtout des brochés.
À 17 ans je suis parti à Mons pour rejoindre l’école Saint-Luc afin d’entamer des études de dessin. Je vivais dans un petit studio et c’est là que j’ai véritablement commencé à faire mes premières pages : j’étais seul dans ce studio et dessiner occupait toutes mes soirées.

Puis, j’ai découvert un cours du soir à Jemappes, donné par Gérard Goffaux et Philippe Foerster, lorsque j’étais en sixième année, grâce à un étudiant de cinquième année. J’ai surtout eu envie d’y aller parce qu’ils avaient publié un album collectif avec les meilleurs travaux des élèves ! Être publié et que la bande dessinée prenne vie sous la forme d’un album a toujours été primordial pour moi.

Je suis donc arrivé à ce cours du soir et j’y suis resté trois ans. Ma chance c’est que les profs et trois anciens élèves avaient décidé de créer un magasine du nom de Brazil et j’ai pu participé aux trois numéros qui sont sortis à l’époque. C’était un vrai bonheur, cette période ! Je n’étais plus seul dans mon coin et en plus je commençais à publier ! Je venais d’avoir 20 ans lors de la publication du premier numéro de Brazil, c’était la fin de ma dernière année d’études et en même temps, la première année cour du soir. Lors de ma deuxième année en cours du soir, en 1995, avec Baloo (un élève de ce cours), nous avons réussi à faire publier un petit album de 30 pages intitulé Une pizza à l’œil. L’album a été édité par la Grande Ours, un éditeur des Ardennes, tenu par Tony Larivière qui est libraire aujourd’hui. Le tirage était assez modeste : 700 exemplaires.

Toujours en 1995, je me suis inscrit à l’académie des Beaux Arts de Liège. Cela m’a apporter une seule opportunité : un concours de BD lancé par Thierry Tinlot dans toutes les écoles supérieur d’art cette année-là. J’ai remporté le concours, avec un élève des Beaux Arts de Tournai. Et c’est comme ça que je suis arrivé à la rédaction du journal Spirou, que je n’ai plus vraiment quitté depuis ! En tant que dessinateur et aussi comme correcteur-lettreur. (le Lebrac de la rédac, quoi !).

 

Grâce à mon arrivée à la rédaction j’ai pu publier une trentaine de pages dans Spirou, avec des scénaristes comme Dieter ou Vincent Zabus.

En parallèle, après mes études (en 1997), je me suis rendu à Angoulême pour démarcher les éditeurs. C’est là que j’ai décroché mon premier contrat aux Éditions du Téméraire, puis chez Delcourt, Dargaud et enfin Dupuis !

Quelles sont tes influences ?

Je crois qu’elles viennent  surtout des comics…

Mon premier et grand coup de cœur c’est Alan Davis ! Quand j’ai découvert ce dessinateur vers 16 ans, j’ai, comme su, que nous étions de la même famille. Ce mélange de dessin réaliste avec des points de dessin humoristique est tout bonnement merveilleux !

Je suis également tombé amoureux du dessin de Bernie Wrightson, qui a une force  incroyable dans son noir et blanc.

Ensuite tu te construit tout seul, morceaux par morceaux…

Question plus difficile : selon toi, quelle est ton influence ?
Es-tu déjà entré dans une librairie, regardant un album, pour
te dire, « tiens, ça ressemble à ce que je fais… » ?

Non jamais. Pourtant, un jour, un dessinateur du métier – assez connu – m’a envoyé un message pour me dire qu’il allait me piquer deux-trois façons de faire… Je ne suis jamais allé vérifier s’il l’avait fait, mais je crois que je ne le verrai pas de toutes façons !

De quelle façons élabores-tu tes planches ?
Comment ordonnes-tu la création ?
De l’idée à la planche finalisée ?
Comment sais-tu ou ressens-tu, que ta planche est terminée ?

Je fais ça de façon très artisanale, à l’ancienne…
Il y a évidemment plusieurs étapes qui se succèdent mais ça commence toujours par une lecture approfondie du scénario, pour bien savoir de quoi on parle… Ensuite, je fais un petit croquis à côté de chaque explication du scénariste, (chaque  dessin fait environ 1 cm sur 2 cm, en général). Après ce premier débroussaillage, je fais mon découpage sur un format en  10 cm sur 13,5 cm, car c’est exactement la bonne dimension de mes pages en diagonale. Ça me permet d’agrandir mon découpage, de façon homothétique, au format de mes pages, pour avoir exactement les bonnes tailles de mes cases et un placement assez précis des dessins. À partir de là, je redessine tout, case à case, sur du papier de photocopieuse, dans les bonnes dimensions, puis je scanne le tout et j’assemble toutes mes cases ensembles sur Photoshop©. Enfin, j’imprime ces pages en bleus, dans les dimensions de mes pages (en 44 cm sur 32, 5 cm) et j’encre. 

La mise en scène de tes planches est très élaborée, elle a une place importante dans tes découpages, comment fais-tu ?

Pour prendre l’exemple d’une planche, comme je le disais, je fais d’abord de petits croquis à côté de chaque description du scénario, case par case. C’est quelque chose de vite fait, pour me donner un premier visuel où je ne tiens compte que de la description de la case. Ensuite je fais un mini-plan de la page, juste pour placer les cases, sans dessins. Là, je suis à l’étape du découpage et je dispose à l’œil, toutes les cases en pensant à mettre celles qui ont un rapport sur la même ligne, si c’est possible.
L’idée est de créer des lignes de force entre les cases, que les placements de personnages soient cohérents d’une case à l’autre, que les personnages soient au bon endroit et qu’ils ne passent pas de gauche à droite en permanence. Un peu comme au cinéma, l’acteur qui parle à gauche reste à gauche et donc, celui de droite reste à droite. Ce n’est pas toujours évident, mais en général ça fonctionne. En tous cas, je cherche à ce que ça fonctionne. En bref, je construit toute les mises en scène de mes pages avec des petits croquis très brouillons, mais clairs !

Je respecte en général mes découpages, mais il peut arriver que je fasse des modifications en court de route, parce que je trouve que ça manque de clarté, par exemple. Une bonne mise en scène permet à ce que la lecture soit fluide et claire au premier coup d’œil. C’est le plus important : la fluidité de la lecture. 

Quelle est la part de documentation dans ton travail ?

La documentation occupe une grande place dans ce que je fais.
Quand on dessine une série historique c’est obligatoire, pour rendre le récit crédible.
Après ma lecture du scénario, je prends note de chaque élément que je vais devoir dessiner (véhicules, vêtements, objets, etc.), en précisant la page. J’envoie cette liste à mon ami Michel Desgagnés qui trouve tout ce dont j’ai besoin en terme de documentation historique et ça, depuis le premier album de Dent d’ours. Je lui doit beaucoup. De cette manière j’ai toute la documentation quand je commence mes planches et si, par mégarde, j’ai oublié quelque chose je vérifie sur internet moi-même !

Avoir une documentation fournie, c’est vraiment agréable, ça permet d’être plonger directement dans la période à dessiner. J’aime beaucoup les photos d’époque ou on voit vraiment comment était la vie à ce moment-là. Ça me donne encore plus envie d’essayer de retranscrire cette atmosphère dans les planches. 

Et les couleurs dans tout ça ?

Je travaille avec une super coloriste ! En général la seule indication que je donne est l’heure de l’action (le jour, la nuit, le matin…). Pour le reste ma coloriste est libre. Et c’est là que tout son talent intervient.
Je lui transmet également toute la documentation qui sera nécessaire au récit (qu’elle puisse voir les couleurs des uniformes, des bâtiments, des avions…).

Par exemple, pour les cocardes qui se trouvent sur les avions, ma coloriste doit à chaque fois les recréer parce que les anciens documents ne sont pas exploitables.
Maintenant avec Photoshop® ont atteint un niveau bien supérieur aux couleurs faites à la main, sans que cela donne un effet informatique. En fait, les couleurs à l’ordinateur c’est un outil de travail, quand le coloriste est doué peu importe le support ou la technique.

Un avis sur la place des femmes dans la BD ?
En tant qu’autrices ? En tant que personnages ?

Je dirais que la BD, c’est pour tout le monde. Donc il n’y a aucune frontière de parité, c’est totalement égalitaire et c’est très bien ainsi.

De mon côté, comme je passe mes journées à dessiné mes personnages, autant qu’ils ou qu’elles soient agréable à l’œil !

Avec quasiment une trentaine d’albums à ton actif et la série Black Squaw, en cours et prépubliée dans Spirou, c’est quoi l’avenir ? Des suites ? De nouveaux projets ?

Pour le moment je suis à fond sur Black Squaw, même si Dent d’ours n’est pas enterré, loin de là… Sinon, rien d’autre !



Black Squaw, Scarface, de Yann et Henriet, chez Dupuis, dans les bonnes librairies depuis le 14 mai 2021.

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26 mai 2021 20:25

Après ses études difficiles et ses nombreuses références de qualité on pouvait s’attendre à une production intéressante, et là, Alain Henriet nous offre une œuvre exceptionnellement magnifique. La recherche documentaire, le scénario et le trait incroyablement pur font des albums d’Alain Henriet de véritables coups de cœur à ne pas manquer.

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