Lectures Hebdomadaires

La bande dessinée, c'est tout !

« Le processus créatif résulte toujours
d’un emboîtement spontané
qu’on reconstruit après coup.
 »
Frédérik Peeters

Fabrice Erre : l’humour et la sagacité

photo de Fabrice Erre

L’épatant, Fabrice Erre, auteur de Z comme don Diego, Une année au lycée, Mars !, Guide Sublime, Le Pouvoir de la Satire, Walter Appleduck, Coluche Président ! (et j’en passe, beaucoup…), a bien voulu répondre à une interview pour lectureshebdomadaires.com ! De Peyo à Jocovitti, voici les ascendances de Fabrice Erre, tout en humour et en sagacité !

Qu’est-ce qui t’a conduit à faire de la bande dessinée ?

Mon plus vieux souvenir, c’est de réaliser un coloriage sauvage de l’album Schtroumpf vert et vert Schtroumpf. Quand j’ai découvert le propos de cette histoire, beaucoup plus tard, j’ai été soufflé par tout ce qu’elle disait, sans en avoir l’air. La même chose s’est produite avec plusieurs albums des Schtroumpfs. Ensuite un copain m’a donné une figurine de schtroumpf en latex (le schtroumpf à lunettes procureur) qui m’a hypnotisé. Je me suis mis à recopier les cases des albums des Schtroumpfs ; le professeur de dessin du village, dans un cours où j’allais le mercredi, m’a gentiment dit que pour faire ça je pouvais le faire à la maison…

J’ai donc fait ça à la maison, puis de fil en aiguille ça a pris de plus en plus d’ampleur. Le passage à la « professionnalisation » s’est fait par une longue transition, plus de vingt ans en fait entre une première page dans Fluide glacial et la décision d’en faire mon activité principale.

Quelles sont tes influences ?

Peyo, vraisemblablement.

Ensuite, pour tout le reste, c’est très difficile de parler de ses propres influences, car on ne le maîtrise pas vraiment. Un jour un lecteur m’a fait remarquer que mon dessin avait une filiation avec celui de Jacovitti, ça m’a tout à coup paru évident, mais ça n’a jamais été conscient. Je me suis alors souvenu de Coco Bill qui était passé dans Pif Gadget, et dont j’avais conservé les pages, mais elles étaient depuis bien longtemps enfouies dans le fond de la bibliothèque. J’ai beaucoup moins lu Jacovitti que Blutch par exemple, pourtant l’influence majeure du premier est indéniable.

Le même processus est à l’œuvre avec d’autres formes d’art bien sûr, on s’imprègne et ensuite des traits ressortent, mélangés, tordus, ou parfois très similaires. C’est à la fois désespérant et drôle d’écrire un gag dont on est très content et de se rendre compte, en regardant un épisode du Monty Python’s Flying Circus qu’on a vu il y a 20 ans, que ce gag n’est en fait pas du tout sorti de notre imagination.

Question plus difficile : selon toi, quelle est ton influence ?
Es-tu déjà entré dans une librairie, regardant un album, pour
te dire, « tiens, ça ressemble à ce que je fais… » ?

C’est encore plus difficile que de déterminer ses propres influences. Franchement, je ne crois pas avoir suffisamment d’individualité graphique ou narrative pour influencer directement d’autres auteurs. Si je peux communiquer un peu de cette énergie dont je parlais pour qu’un lecteur se dise « ah, ça me donne envie d’aller faire des gags aussi », ce serait déjà formidable. Mais c’est encore moins décelable qu’un style dans le trait, dans le ton.

De quelle façons élabores-tu tes planches ?
Comment ordonnes-tu la création ?
De l’idée à la planche finalisée ?
Comment sais-tu ou ressens-tu, que ta planche est terminée ?

Une planche, c’est la mise en ordre du désordre qui règne dans l’esprit. Donc elle résulte d’un processus d’épuration, d’organisation, d’élagage, de rationalisation. C’est un processus dangereux qui peut faire perdre tout l’intérêt de l’idée initiale (qui est toujours géniale dans la tête bien sûr). Je travaille beaucoup sur le brouillon, le découpage, pour être sûr du rythme, une donnée essentielle dans le domaine de l’humour. Ensuite, la réalisation en elle-même de la page doit être rapide pour essayer de conserver dans le trait une partie de l’énergie contenue dans l’intention de départ. Mais cette énergie se disperse très vite, et la planche finale peut en être dépourvue. Plus elle aura réussi à en conserver, plus elle aura atteint son but il me semble.

Quel est ton avis sur la place de la bande dessinée ?
En France ? En Belgique ? Dans le monde ?

La bande dessinée occupe beaucoup trop de place dans le monde. Ça a commencé avec les gros nez qui se sont multipliés. Depuis que les gens ont décidé de s’exprimer en phylactères et de vivre par ellipses, il me semble que ça va trop loin. Il ne manquerait plus qu’on nous impose de finir notre vie par une chute ou un suspense de fin de page.

Quel est ton avis sur la place des femmes dans la BD ?
En tant qu’autrices ? En tant que personnages ?

Les femmes occupent beaucoup trop peu de place dans la BD, donc dans le monde (voir réponse précédente). Ce qui appauvrit nécessairement le champ des possibles et l’ambiance. On le voit bien au G20, tous ces hommes qui ont l’air grave et dépité, se regardent réciproquement de travers comme des ennemis préparant de mauvais coups. Heureusement, quand arrive la chancelière allemande, immédiatement c’est un peu la fête.

Après un bon nombre de livres chez 6 pieds sous terre, de nombreuses collaborations avec Fabcaro, ton blog sur lemonde.fr, le scénario du Fil de l’histoire, Walter Appleduck et tes éditos hebdomadaire pour Spirou, c’est quoi l’avenir ?
Des suites ? De nouveaux projets ?

Il y a toujours de nouveaux projets car, comme le disait Simone de Beauvoir, « l’homme a besoin de transcendance », et comme le disait le requin : il faut nager en permanence sinon on meurt asphyxié. Il devrait y avoir en 2021-2022 des livres chez 6 Pieds sous terre (un retour aux sources), Fluide glacial et La Revue dessinée en plus des projets chez Dupuis. Et la poursuite d’un fanzine autoproduit, Guide sublime fanzine. Quelques kilos de gags en plus dans l’océan de rire qui envahit le monde.



Le prochain album de Fabrice Erre, Mal Dominant, sort chez 6 Pieds Sous Terre le 6 mai 2021.

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