Lectures Hebdomadaires

La bande dessinée, c'est tout !

« Le processus créatif résulte toujours
d’un emboîtement spontané
qu’on reconstruit après coup.
 »
Frédérik Peeters

Matthieu Bonhomme : l’auteur de L’Homme qui tua Lucky Luke à la Galerie Daniel Maghen

La création en bande dessinée est une bien vaste question. Je m’y intéresse depuis un moment et c’est avec Matthieu Bonhomme que j’ai eu la chance d’en parler hier. Au-delà d’une question de providence, c’est surtout parce que Matthieu expose depuis le 1er juin, et jusqu’au samedi 25, à la Galerie Daniel Maghen, que j’ai eu l’honneur et la joie de le rencontrer, et de pouvoir discuter avec lui pendant plus d’une heure. Merci à toute l’équipe de la galerie, je tiens à saluer particulièrement Alexiane Diot sans qui ce rendez-vous n’aurait pas eu lieu.

Portrait de Matthieu Bonhomme devant une illustration de L’Homme qui tua Lucky Luke © 2016, Romuald Meigneux, Galerie Daniel Maghen

Adrien Vinay : Pour commencer, pourrais-tu me résumer ton parcours ? Comment as-tu découvert la bande dessinée ? Quand as-tu fait ton premier dessin ?

Matthieu Bonhomme : Mon parcours c’est celui d’un petit garçon qui lit des bandes dessinées, qui fait du dessin à l’école, le mercredi… J’avais grand plaisir à lire Lucky Luke. Ce n’est pas une blague, c’est vraiment la BD qui m’a le plus accompagné. Je lisais Lucky Luke et je me suis dit « tiens, mais il y a un dessinateur derrière ! », et j’ai commencé à recopier les dessins… Comme ça j’ai mis un peu le pied dans la bande dessinée, sans trop m’en rendre compte. Le dessin c’était déjà un truc que j’avais le droit de faire à la maison, qui était encouragé par mes parents, ma mère à une sensibilité artistique et elle encourageait ses enfants à faire des trucs artistiques et on a eu comme ça, beaucoup de liberté, ce n’état pas du tout subversif de dessiner. J’ai trois frères, dont un qui a juste deux ans de moins que moi, il dessine très bien lui aussi, et on allait ensemble, le mercredi, faire des ateliers… Puis très vite, le dessin est devenu pour moi… Je ne saurai pas comment dire… C’est devenu important pour moi, c’est devenu utile, voire même vital, certaines fois. Notamment à l’adolescence, j’ai trouvé ma personnalité en faisant ça, c’était presque un truc identitaire de faire du dessin. En même temps, je faisais des découvertes de lectures, d’artistes donc j’avais des chocs graphiques qui m’incitaient à dessiner, encore un peu, à faire d’autres découvertes, etc. Assez vite, je me suis orienté vers des écoles d’art ou j’ai pu, je dirai, travailler mes armes, faire mes gammes et trouver ce que je voulais faire, préciser un peu mon envie à force d’expériences : dans les écoles d’art on fait du design, de la sculpture… J’ai compris assez vite que pour moi c’était le dessin, l’image et spécialement la bande dessinée. Tout ça, c’était des découvertes vraiment exaltantes, mais le problème c’est qu’à l’époque, dans les écoles d’art, on ne pouvait pas faire de la BD, c’était très mal vu. Donc pour apprendre vraiment la BD, j’ai eu l’opportunité, le culot peut-être aussi, parfois, d’aller rencontrer des auteurs, pour leur montrer mes dessins. J’écoutai ce qu’ils me disaient et j’ai appris énormément. Christian Rossi m’a beaucoup aidé, également Jean-Claude Mézières et les gars qu’il y avait autour d’eux. J’ai aussi travaillé avec Serge Le Tendre, sur des pages qui aujourd’hui sont toujours inédites. Cela m’a vraiment aidé, j’ai appris plein de choses comme ça. En parallèle je faisais du dessin de presse et ces mecs-là me disaient, « t’as le temps, ne te précipite pas pour faire des albums, mets-toi bien au point d’abord, tu verras c’est un gros boulot, c’est beaucoup d’investissement », et ils avaient carrément raison. Je me suis bien exercé avec eux au départ. Après j’ai fait mes premiers bouquins, par étapes, d’abord un, puis deux, et hop une série.

En termes d’influences, tu m’as dit que Morris était très important, mais j’ai aussi entendu parler de Peyo ? Tu es un grand lecteur de Peyo ?

Peyo c’est un gars qui a pigé un truc… Ce qui est étonnant dans son parcours c’est que ce n’est pas, au départ, un grand dessinateur. C’est un amoureux du dessin, un amoureux des histoires, il aimait raconter des histoires même en marionnettes. Il a inventé Johan et Pirlouit, une BD que j’ai adorée quand j’étais petit. Je lisais principalement du Lucky Luke, mais sur le plan Moyen-Âge il y avait Johan et Pirlouit, plus tard j’ai découvert Tilleux1 avec Gil Jourdan, enfin toute l’école franco-belge. Je ne lisais pas Spirou, mais j’avais les pages sous forme d’albums. J’ai grandi avec ça et, effectivement, Peyo était très important pour moi, j’ai beaucoup recopié du Johan et Pirlouit, je jouais au chevalier aussi, voilà… (rire) Peyo a appris un savoir-faire, entouré par des mecs comme Morris, Franquin et Jijé2. Il a appris, je dirai, un minimum pour faire énormément. Il n’a pas une gamme aux possibilités infinies, comme un Giraud par exemple, ou un Morris, mais il a suffisamment pour hyper bien raconter ses histoires et être archisimple. Jusqu’au moment où même Franquin l’admirait pour sa simplicité. Ses récits sont toujours très fluides et l’écriture est vraiment drôle et très bien composée, c’est un très très grand scénariste, un grand narrateur : Johan et Pirlouit, j’adore. Peyo fait partie de mes influences. Quand on a fait Messire Guillaume avec Gwen De Bonneval, il y avait deux influences majeures en bande dessinée, pour le Moyen-Âge, c’était Johan et Pirlouit, et également Chevalier Ardent que nous avons beaucoup aimé tous les deux étant ados. François Craenhals est un auteur assez peu revendiqué, mais Chevalier Ardent c’est très bien écrit, les premiers tomes sont supers. Il y a un style un peu ringard, aujourd’hui, ça parait tellement vieillot que c’est plus difficile… Mais à lire, c’est vraiment de la bande dessinée moderne, simple. Les trois/quatre premiers Chevalier Ardent sont de superbes histoires, quand on est adolescent, on est emporté par le récit…

Illustration du saloon, pour L’Homme qui tua Lucky Luke, exposée à la Galerie Daniel Maghen © 2016, Matthieu Bonhomme, Dargaud, Lucky Comics

En ce qui concerne ton travail, la manière dont tu composes, la façon dont tu créés, et en sachant que tu as commencé par le dessin pour te tourner ensuite vers le scénario, comment est-ce que tu ordonnes ta création ? Quel est l’ordre des choses ? Par quoi tu commences ? Comment sais-tu que tu as fini ta planche ? Où se place le scénario dans tout ça ?

On peut effectivement séparer le truc en deux grandes parties, c’est-à-dire les albums pour lesquels j’écris le scénario et les albums pour lesquels je n’écris pas le scénario. D’abord, il n’y a rien de plus important que l’histoire. S’il n’y a pas d’histoire, tout ça ne sert à rien. Le vrai gros morceau à bosser, c’est l’histoire. Que ce soit moi qui l’écrive ou pas d’ailleurs. C’est presque à ce moment-là qu’il faut oublier qu’on fait de la bande dessinée, parce qu’il n’y a rien de pire que la BD qui copie la BD. Il faut vraiment essayer de chercher ailleurs, dans son imaginaire… Évidemment, on est pétri de nos lectures donc c’est dur de dire que la BD est évacuée de toutes références, ce n’est pas vrai, mais il ne faut pas s’en contenter parce que la BD ne va pas se nourrir de la BD, elle doit se nourrir d’autre chose : de l’inconscient collectif, de la peinture, des voyages, d’expériences personnelles, de la sensibilité de l’auteur, de tout ce qui doit faire le contenu d’un récit. Quand ce n’est pas moi qui écris l’histoire, quand je travaille avec un scénariste, généralement, d’abord, on discute. Tout bêtement il me demande « qu’est-ce que tu veux dessiner ? » Ils n’écrivent pas pour mes dessins, mais ça fait partie de la question. Assez vite je leur demande aussi « qu’est-ce que tu veux raconter ? » On trouve un genre, une époque, un thème, sur lesquels on tombe d’accord tous les deux.

Couverture du Marquis d’Anaon T. 1 © 2002, Dargaud, Matthieu Bonhomme, Fabien Vehlmann

Avec Fabien Vehlmann, j’étais à ce moment-là, en train de creuser la possible adaptation d’un roman de Maurice Leblanc qui s’appelle L’Île aux trente cercueils, un Arsène Lupin que je voulais réécrire… J’étais fasciné par cette ambiance bretonne, sombre, cet univers extraordinaire de Maurice Leblanc. Fabien Vehlmann est arrivé en disant « moi j’ai un truc qui se passe au XVIIIe, ça pourrait être chouette, d’avoir ce personnage qui commence en Bretagne, sur cette île, en huit-clôt… », et tout de suite ça a accroché. Puis c’est devenu une série puisqu’on a eu envie de suivre ce personnage en tant que voyageur. On avait aussi envie de parler de la tendance humaniste et préphilosophique d’un français du XVIIIe, qui a fait des études et qui peut réfléchir sur l’homme et sur les croyances. C’était pas mal comme idée, ça permettait de lier le réaliste et le fantastique avec des doses qu’on pouvait distiller à loisir. On est très vite tombé d’accord avec Fabien. Il a ensuite proposé une histoire, on a parlé de cette histoire, il l’a écrite, j’ai reçu un scénario et j’ai dessiné ce qu’il m’a demandé de dessiner. Un scénario complet, de la page 1 à la page 46 avec écrit sur chaque feuille « case 1, 2, 3, 4, 5 », qu’est-ce qu’il s’y passe et les dialogues. Ce qui n’empêche pas le retravaille, ce n’est pas parce qu’il est très précis que je me sens coincé, au contraire : le fait qu’il soit précis m’aide à comprendre ce qu’il veut dire. Avec Fabien, notamment sur le premier Marquis d’Anaon, on a beaucoup parlé de l’histoire, j’ai beaucoup fait refaire, j’ai beaucoup refait de page moi aussi, on a pris le temps de se trouver, et le temps de se trouver sur notre méthode, il y a eu un gros travail de façonnage d’histoire. Mais, plus la série avançait, moins j’avais besoin de revenir vers lui pour parler du fond ou de la façon dont il développait les histoires. Une histoire qu’on a beaucoup travaillée en amont et, où après je n’ai plus rien fait, parce que j’ai juste eu à suivre ses cases, c’est le troisième, un de ceux que je préfère dans la série. On a beaucoup parlé ensemble de l’histoire avant, on a détaillé, les personnages, les situations, ce qu’il se passe, le crédit qu’on pouvait apporter à telle ou telle situation, et après il a envoyé le scénario, écrit à sa façon, et c’était super bien, je n’avais rien à changer. La plupart du temps je change très peu le scénario des auteurs. C’est son histoire.

Couverture du Marquis d’Anaon tome 3 © 2004, Dargaud, Matthieu Bonhomme, Fabien Vehlmann

Couverture de Messire Guillaume tome 1 © 2006, Dupuis, Matthieu Bonhomme, Gwen De Bonneval

Couverture de Texas Cowboys tome 1 © 2012, Dupuis, Matthieu Bonhomme, Lewis Trondheim

Pour Messire Guillaume, il y a une vraie discussion en amont sur l’univers, ce qu’on va faire graphiquement, comment développer le côté fantastique, et caetera. Quand le scénario arrive, je ne change rien, presque rien. Il y en a un avec qui je n’ai rien changé, pas une virgule, c’est Lewis Trondheim. Il faut aussi savoir que parfois, le scénario mérite d’être changé, non pas parce que l’histoire serait moins bien, mais parce qu’il y a un moment je suis au dessin, et le rapport entre le scénario et l’image ce n’est pas toujours facile à imaginer pour le scénariste, tant qu’il n’a pas les crayons en main. Savoir ce que je vais mettre dans le dessin, ce que ça va économiser en dialogues ou en attitudes n’est pas connu du scénariste qui a besoin d’être plus descriptif dans sa façon de raconter l’histoire. Or, une fois que le visuel apparaît, il y a toute une partie du scénario qui devient redondante. Mais avec un mec comme Lewis, qui est lui-même dessinateur et qui écrit d’abord sous forme de story-board, il n’y a plus du tout de redondance. C’est aussi quelque chose que j’ai constaté avec Gwen, c’est qu’il y a très peu de redondance, il n’y avait pas à réécrire les choses, ça fonctionnait comme ça. Du coup ce sont des albums où leurs personnalités sont très présentes, c’est très imprimé d’eux.

Couverture de L’âge de raison © 2002, Carabas, Matthieu Bonhomme

Pendant ce temps, j’ai toujours eux envie d’écrire mes propres histoires en n’ayant pas du tout confiance en moi sur ma capacité à le faire. J’ai, sur mon parcours, plein de petits moments où j’ai trouvé que je faisais de mauvais scénarios, où on me disait que je faisais de mauvais scénarios, et où je suis parti avec beaucoup de boulets au pied… J’avais, au fond de moi, une envie qui était bloquée par, des bouchons je dirai, des bouchons personnels… Tout mon travail intérieur était de faire sauter ces bouchons. Alors, le premier bouchon qui a sauté c’était pour faire L’âge de raison3, et je me suis un peu rassuré sur ce scénario, parce que j’ai raconté une histoire, complètement à l’instinct, où j’ai mis en place une méthode d’écriture basée uniquement sur la mise en scène. J’avais déjà fait Victor & Anaïs4, j’avais fait le premier Marquis d’Anaon, la mise en scène c’est un truc sur lequel je me fais confiance. Donc, j’avais envie de dessiner des mecs qui se tapent sur la tronche et j’ai commencé à story-boarder des hommes préhistoriques qui font ci, qui font ça, c’est devenu une petite histoire, j’en ai fait une deuxième, une troisième et je me suis rendu compte que je faisais du scénario. J’avais pourtant l’impression de ne faire que de la mise en scène, ce qui pouvait suffire pour raconter une histoire. Je me suis rassuré. J’ai fini et je me suis dit « en fait j’ai vraiment raconté un truc qui a du sens, j’ai fait un scénario, sans les dialogues… » Bon, j’avais déjà fait sauter une partie du bouchon. Quelques années après, il y a eu le projet d’un journal, avec Gwen De Bonneval et d’autres copains avec qui je travaillais en atelier, et ils m’ont dit « écris-nous un truc, on sait que tu peux nous écrire une histoire », et j’avais sans doute besoin que quelqu’un me dise ça : « vas-y, écris ». Ça m’a fait beaucoup de bien et le deuxième bouchon a sauté, au moment où Esteban dit la première bulle, je trouvais que ça fonctionnait. Après un autre personnage parle, puis un deuxième et d’un seul coup j’ai commencé à faire sauter le barrage et l’envie d’écrire était derrière, elle suivait. Les pages se sont enchaînées. Je suis arrivé au scénario de façon complètement instinctive, en passant par la mise en scène et par l’image. Puis, j’ai appris progressivement à comprendre ce qu’il se passait dans les histoires, à développer les personnages et à développer les intrigues.

Mais je n’aime pas du tout le scénario en tant que technique. D’abord je n’y arrive pas, j’aime bien avoir des contraintes, je trouve ça intéressant, aussi bien dans le dessin que dans les histoires, des trucs à contourner, une des premières contraintes en bande dessinée c’est le nombre de pages, c’est aussi le nombre de cases par planche, la capacité à ce que les lecteurs suivent les histoires, mais le côté technique je ne l’aime pas. Il y a des livres, il y a des mecs qui écrivent sur le scénario, ce qu’est un bon scénario, comment écrire un bon scénario… Parfois c’est intéressant ce qu’ils racontent, ce ne sont pas des réflexions idiotes, et c’est très intéressant d’avoir cette réflexion une fois que le boulot est déjà fait, une fois qu’on peut commenter le scénario des autres. Mais au moment de l’écriture elle-même, je trouve que ce sont parfois des contraintes supplémentaires. Je n’ai pas besoin de m’accrocher des boulets supplémentaires. Je me suis fait confiance sur le scénario en me disant que j’avais le droit de raconter ce que j’imaginais, de raconter mes rêveries, de raconter des choses sensibles, de m’émouvoir moi-même dans mes histoires pour émouvoir le lecteur, et que ça devait suffire comme ingrédients. Après, j’ai appris de façon un peu empirique à jouer avec la surprise du lecteur, etc. Mais tout cela vient aussi de la mise en scène : quand je commence un Lucky Luke avec un coup de feu c’est quoi ? C’est du scénario ou de la mise en scène ? Quand à la fin de la première case Lucky Luke est mort, c’est quoi ? C’est de la mise en scène ? C’est du scénario ? C’est du marketing ? C’est plein de choses à la fois. Donc, au départ c’est de l’instinct, ce qui n’empêche pas que derrière ce soit charpenté par un peu de technique, ou en tous cas de l’expérience du récit en images.

C’est comme ça que je suis venu au scénario et du coup, je suis toujours un débutant. C’est ça que j’aime bien. Ça fait vachement flipper à chaque fois et c’est pour ça que je ne peux pas enchaîner des albums uniquement écrits par moi, ce qui serait mon rêve, évidemment, avoir cette capacité à écrire sans arrêt… Mais j’ai besoin de me ressourcer à chaque fois, de faire revenir les idées, de me replonger à nouveau dans l’univers… C’est comme un jardin potager, j’ai souvent cette image-là qui revient, je fais des plantations, j’y lance mes idées, elles poussent, parfois je fais des boutures et à un moment il y a des fruits et je fais ma récolte, mais je ne peux pas faire une deuxième récolte derrière la première : une fois que j’ai récolté il n’y a plus rien, donc je relance des graines et certaines idées re-germent, des plans repoussent. C’est une espèce de jardin que j’entretiens, au jour le jour, en regardant des photos d’univers nouveau, des trucs que j’ai envie de faire, je prends des notes dans des carnets, je vais voir des expositions… Par exemple, il y a un jardin que j’entretiens et que je n’ai encore jamais utilisé, je l’entretiens depuis dix ans, sur les estampes japonaises ou la fascination que j’ai pour les films de Kurosawa. J’ai vraiment envie un jour de faire une histoire de samouraï, qui serait inspiré des films de Kurosawa. Mais ça, je ne le nourris pas que de Kurosawa… En tous cas pas de BD sur le japon, j’avoue que je ne connais rien au Japon et à chaque fois j’ai l’impression que ça va être un truc super ambitieux et qu’il faudrait connaître tous les codes comportementaux, les kimonos, et je ne comprends pas tout ça… Mais je suis quand même fasciné par cette esthétique du Japon médiéval, comme beaucoup, et je le nourris avec les estampes de Hokusai et de Hiroshige… J’ai pas mal de bouquins qui s’accumulent, que je regarde régulièrement… Ça, c’est un petit jardin, peut-être qu’il va rester en friche comme ça, pour toujours, et que je ne ferai rien avec.

Couverture du Voyage d’Esteban tome 1 © 2002, Milan, Dupuis, Matthieu Bonhomme

J’ai pas mal de petits jardins comme ça, qui poussent. Celui d’Esteban5 est plus gros et je le nourris et je change un peu les plans régulièrement, je les taille souvent, ça repousse… C’est cette image-là qui me vient et qui me semble la plus juste sur la façon dont je conçois le scénario et l’envie d’écrire. Un jour on m’a conseillé un bouquin de Stephen King qui parle de l’écriture et dont le titre est Écriture. Comme je disais tout à l’heure, je suis un débutant en scénario, en tous cas j’ai toujours l’impression d’être un débutant… Voilà, je suis un novice du scénario ! En gros… Je n’ai pas du tout l’impression d’être arrivé où que ce soit. Mais, sur mon parcours, j’ai croisé des auteurs qui sont scénaristes. Alors ils ont l’impression d’avoir un grade comme ça ‘Scénaristes’ ça fait bien. Scénariste c’est un métier qui est bizarre, ce n’est jamais celui qui est en haut de l’affiche, mais c’est le plus important. Au cinéma, parfois le réalisateur devient coscénariste, il existe des scénarios coécrits, quand c’est écrit pour le cinéma c’est réécrit plein de fois par la production, mais il y a toujours un scénariste qui a écrit une histoire. En bande dessinée, on croise des scénaristes qui… Très peu hein, la plupart sont des gens bien et des gens normaux. Mais quelques uns sont très arrogant, disant « moi je connais le scénario, moi j’ai l’expérience, j’ai fait des trucs pour l’audiovisuel, j’ai écrit pour la télé » et d’un seul coup, ils sont hyper impressionnants ces mecs-là, moi ils m’intimident parce que comme je me sens un petit peu novice, j’ai l’impression d’avoir affaire à des super-machos du scénario et je me sens tout petit. Un jour j’étais à un festival avec un mec qui avait écrit une histoire qui avait bien marché, du coup il ne se sentait plus. J’étais avec mon éditeur, mon éditrice d’ailleurs, de Lucky Luke, et je lui dis « waouh, c’est super, il a l’air super balaise lui », et elle, me répond « mais vas-y, arrêtes d’écouter ce qu’il dit, c’est n’importe quoi, si tu veux lire un bouquin sur le scénario tu n’es pas obligé de lire celui du gros technicien que tout le monde cite hein », il s’appelle McKee le mec en question, il a écrit un livre qui s’appelle Story6, tous les scénaristes sont là, « moi j’ai lu Story », ce qui veut dire « je suis un scénariste ». C’est complètement bidon. C’est comme les mecs qui ont lu la Bible et qui disent « je suis croyant », ou ceux qui ont lu le Coran et qui disent la même chose ou « je suis plus croyant que toi », enfin c’est bidon, c’est idiot. Bref ! Il y a tout de même des choses à y prendre, il y a plein de choses à y prendre… J’ai eu l’occasion de lire des petits passages, ça m’a intéressé, ça m’a appris des choses, mais, à l’époque j’étais très impressionné par ce discours-là, « j’ai lu Story alors je suis un scénariste » et mon éditrice m’a dit « non, non, toi tu vas lire Écriture de Stephen King ». Ce n’est pas un roman de fiction, c’est, au contraire, un récit dans lequel il parle : suite à un accident, il se retrouve à l’hôpital et il réfléchit beaucoup sur ce que c’est que d’écrire, pourquoi c’est important et qu’est-ce que c’est que l’écriture. Il y dit des choses qui m’ont bouleversé parce que cette façon que j’avais d’aller vers l’histoire, complètement empirique, complètement instinctive, Stephen King avait la même. Ce qui n’empêche pas que derrière, son récit soit charpenté, technique et que n’importe quel technicien pourrait le décortiquer et l’analyser, mais il parlait de l’écriture d’une façon qui m’a bouleversé. Il avait une image que je trouvais très forte, il disait « une histoire c’est comme la paléontologie ». Tu es sur un champ de fouilles, sur un terrain, ton instinct te dit que là, c’est peut-être l’endroit où il faut chercher. Par exemple tu es dans le désert et tu vois un bout d’os qui dépasse et tu dis « waouh, là il y a quelque chose, j’ai envie de creuser, il y a peut-être une idée, peut-être une histoire ». Puis tu enlèves le sable, tu commences à défricher, tu fais attention… Et quand tu commences, tu ne sais pas ce que tu vas trouver, tu ne sais pas si l’os fait vingt centimètres ou si tu vas découvrir un T-Rex ou un dinosaure encore inconnu… Tu creuses, tu creuses, tu creuses et à un moment c’est fini et tu te dis « il y avait ça sous terre, il y avait ça en moi ? ». Ça m’est arrivé très souvent, notamment avec le premier choc que j’ai eu comme ça après L’âge de raison, au début je me suis dis « tiens c’est marrant, j’aime bien faire ce truc-à » et c’est bizarre parce que je vais choisir, aller à droite, aller à gauche dans mon scénario, je ne sais pas comment, mais je trouve que c’est plus juste. En fait, à la fin, quand j’ai vraiment eu écrit toutes les pages – il y en a cinquante – je me suis relus et je me suis dit « je raconte un truc super personnel, il y avait ça au fond de moi » et j’avais fait la même découverte qu’un paléontologue qui découvrait un dinosaure qu’il ne soupçonnait pas être là… C’était vraiment une expérience émouvante, une expérience personnelle très forte… Mon cerveau avait bossé pour moi, je n’ai jamais cherché à mettre en avant des choses de mon inconscient qui, une fois sur papier, paraissaient évidents. J’ai trouvé que c’était une expérience très forte. Ce que disait Stephen King sur la recherche d’un dinosaure dans le désert est très juste. Quand je fais Esteban, évidemment j’ai des notes, j’écris, mais je laisse toujours des zones d’improvisation. Et parfois, il m’arrive de me dire « tiens, mais en fait, c’est ça que je voulais raconter, pas le chemin là, de A à Z, qui était prévu, mais plutôt tout ce qui se passe entre les lignes ». Je crois vraiment que ce qui va enrichir l’histoire ce n’est pas du tout ce chemin prévu de A à Z, la partie technique, la partie logique, mais au contraire, ce sont les zones d’improvisation, les zones de lâché-prise où l’instinct et l’inconscient parlent et où, d’un seul coup, les personnages sont habités, les situations deviennent surprenantes et l’histoire prend du rythme. C’est cette partie que je trouve la plus forte et la plus intéressante et qui anime mon envie d’écrire.

Illustration issue de la série Esteban © 2016, Dupuis, Matthieu Bonhomme

On aborde le génie artistique, ce dont parlait Picasso lorsqu’il disait qu’à la peinture d’un tableau, il laissait sa main et son cerveau agir pour que ça se passe. Tout mon intérêt se situe ici en bande dessinée, c’est aussi pourquoi j’ai tenu à te rencontrer. De ce que j’ai pu discuter avec d’autres auteurs, vous en revenez souvent à ça, la BD c’est à la fois de l’art et de l’artisanat, du scénario et du dessin, et beaucoup de techniques différentes. Certains auteurs sont systématiques dans leurs façons de travailler, d’autres sont un peu plus décousus, mais vous revenez tous à cette chose qui sort de vous et qui n’est finalement pas explicable…

Ça, c’est le propre de la création : il n’y a rien avant et il y a un truc après. Un truc s’est créé. Il n’y avait rien avant, il a fallu chercher les idées, assembler les choses et c’est ça qui est complètement fascinant. Raconter l’histoire de quelqu’un d’autre, c’est sa création. Souvent, si c’est un scénariste qui n’est pas dessinateur, il a besoin du dessinateur pour faire exister sa création, et cette création n’est en vie que grâce au dessin. Pour moi, quand je fais l’histoire de quelqu’un d’autre parce que c’est son histoire. Alors, je vais créer des personnages, je vais créer des univers, mais le fond, ce qui est raconté, ce qui a du sens humain, ce que dit celui qui a créé l’histoire, ce n’est pas ce que moi je dis donc, c’est sa création. Quand j’écris moi-même, c’est ma création : il n’y avait rien, même pas l’histoire d’un autre, et après il y a quelque chose. C’est complètement magique. C’est une sensation mystique. Je pense que dans tous les arts il y a ce rapport de la technique contre l’instinct, il y a d’immenses techniciens et il y a d’immenses instinctifs et les plus belles choses se font généralement quand il y a un peu de lacher-prise, quand on n’est pas trop raide. On ne peut pas faire une BD si on n’a pas un peu de technique, il ne faut pas déconner, c’est important. On ne peut pas écrire si on n’a pas un peu de technique. On ne peut pas écrire si on n’a pas un peu d’instinct. Mais il y en a qui se revendique tellement de la technique… Il y a des auteurs qui… C’est des histoires qui me tombent des mains généralement… Quand certains font des histoires basées sur la technique et qu’il n’y a rien de personnel dedans, qu’ils n’ont rien mis d’eux, par pudeur ou pour je ne sais quelle raison, parce que ce sont des gens fermés ou je ne sais pas. C’est dur de parler de soi, il y a peu de gens qui vont s’ouvrir devant un psy’ par exemple, ou parler d’eux-mêmes à des copains, dire que ça ne va pas… C’est un peu pareil je trouve, le langage, la capacité à se remettre en question, ou la réflexion sur soi-même, ou aller creuser ce qu’on ressent, ça a beaucoup de parenté à ce qu’on amène dans une histoire : est-ce qu’on va parler de soi ? Est-ce qu’on va se livrer ? Est-ce qu’on va ouvrir la porte des émotions ? Ou, est-ce qu’au contraire c’est très fermé ? Souvent, je trouve que pour raconter des histoires, quelqu’un qui est beaucoup dans la technique ferme complètement la porte des émotions. Évidemment il y a peut-être des choses qui transparaissent, mais qu’on ne voit pas forcément, qui ne sont pas le but. Ce sont simplement des recettes qui s’accumulent, des savoirs faire, de la technique et de la compréhension de ce que c’est. C’est quelqu’un qui a bien compris le livre Story… Mais moi, ce sont des histoires qui m’ennuient en fait. Ce qui est magique dans les histoires c’est quand on sent qu’il y a un fond personnel, que l’histoire a été écrite de cette façon la, qu’elle n’aurait pas pu être écrite autrement, que l’auteur s’est un peu livré.

Tu es beaucoup attaché à l’empirisme de ton travail de création, la technicité est présente, mais n’est que l’outil qui va te servir à raconter des histoires, mais y a-t-il tout de même un ordre prédéfini dans ton travail ? C’est tout le temps la même chose ? Comment sais-tu quand tu as fini ta case ? Comment sais-tu que tu as fini ta planche ?

Ah oui, ça, c’est à propos du modus operandi. Alors, en dessin, je l’ai beaucoup travaillé ma technique pour pouvoir récupérer de la liberté, être à l’aise et pouvoir faire un maximum de choses. C’est comme un pianiste qui a quand même besoin de travailler son instrument, travailler sa dextérité, travailler ses doigts, et caetera. Ça, je l’ai quand même bossé, il faut être sérieux deux minutes, c’est important. Mais je dirai que dans la création, dans l’histoire, il y a la partie artistique qui serait vraiment l’élaboration de l’histoire, l’invention des idées, ce qu’on y met de sensible et comment l’instinct va donner quelque chose et l’inconscient va le faire exister. Puis après, il y a la partie technique, la partie dessin, qui est la partie artisanale je dirai, qui va prolonger tout ça, et qui va permettre de faire exister l’histoire.

À ce moment-là, si on procède par ordre, il y a l’histoire, il faut trouver les idées, et pour ne pas qu’elles s’envolent, il faut bien les noter quelque part… Ça, ce sont des petits réflexes d’écriture, des petites notes, des bouts de dialogue, une séquence… Parfois je vais voir, un truc tout bête, un cavalier qui galope, qui saute un obstacle et après le mec tombe et en se relevant il découvre que… parfois ma prise de notes sera un petit bout de story-board, parfois ça sera juste un bout de dialogue, parfois ce sera « j’aimerai bien qu’il se passe ça », parfois j’ai le titre. Tout ça fait, ce dont nous discutions tout à l’heure, un petit jardin. La deuxième étape, quand j’écris moi – parce que quand ce n’est pas moi qui écris, quelqu’un d’autre se charge de la première étape – il faut raconter l’histoire vraiment, il faut commencer à entrer dans la matière. Je fais ça directement sous forme de story-board, parce que j’ai, directement dans mes outils de travail, plus que la machine à écrire ou l’ordinateur, le visuel qui entre en scène. Plutôt que de décrire des cases, j’ai pris l’habitude de les dessiner, très vite, en croquis, les pages se mettent ensemble et à la fin, tout l’album est en croquis, tout le story-board est fait. C’est vraiment pratique parce que, comme je bosse à l’instinct, il y a certaines choses qui ne vont pas, et peut me relire. Je peux trouver qu’il y a des molesses, je peux trouver qu’il y a des passages trop rapides, des choses qui ne sont pas compréhensibles, du coup je peux me corriger. Quand je me suis corrigé, j’envoie à des copains qui vont me relire et je vais pouvoir vérifier mes effets : « est-ce que là tu t’es marré ? Est-ce que là tu as été surpris ? ». En retour ils me répondent, « là j’ai pas compris ce que tu veux dire », etc. Ça permet d’effectuer des tonnes de corrections. Cette épreuve de story-board est très pratique pour moi parce que je peux vraiment me relire et corriger, c’est très important. Je peux aussi le montrer à l’éditeur, à la personne concernée, donc c’est quand même un super outil. Et puis après, j’ai un support graphique fini qu’est mon story-board. L’histoire est finie, l’essentiel est dit. Je n’ai plus qu’à mettre ça au propre. Ce qui doit passer, ce n’est pas tellement un savoir-faire, ou une démonstration de talent, avoir des beaux traits ou quoi que ce soit. Ce qui compte, c’est que les idées et les émotions passent. Je vais dessiner le plus simple possible en essayant de faire attention aux expressions, aux attitudes des personnages, à la gestuelle, aux costumes, les choses qui vont faire qu’on y croit, tout simplement. Effectivement, parfois c’est de la documentation, quand on est au XVIIIe siècle on ne peut pas faire n’importe quoi, dans les rues parisiennes, ou sur les costumes de marin sur un bateau en 1780, il ne faut pas faire n’importe quoi, il faut que ça permette d’y croire. Mais quand les personnages discutent et jouent, ont des problèmes ou échangent des trucs intimes ou sont dans l’action, il faut qu’ils bougent bien, qu’ils aient un regard juste, il faut qu’ils ferment les yeux, pour que, à un moment, ils ne regardent plus : là, c’est le dessin qui agit. Du coup, plus je m’écarte du story-board, plus je me rends compte que je me trompe. Souvent, quand j’écris, mon boulot c’est d’être le plus proche du jet, de l’instinct qu’il y a eu, graphiquement, dans mon story-board.

Et puis la page est finie à un moment, elle est finie parce que si j’ajoute quelque chose, je complique, si j’enlève quelque chose ça ne va plus, alors c’est fini ! Pour tout dire, j’ai aussi une projection mentale de ce a quoi je veux arriver donc je me dis « tiens, je veux qu’il y ait de la lumière » je pose de la lumière, « je veux qu’il n’y en ait pas », je n’en pose pas, « je veux qu’il y ait beaucoup de noir », je remplis… Il faut aussi que quand je regarde ma planche de loin, elle me semble un peu équilibrée. Ça, ce n’est pas juste pour faire un beau dessin, c’est pour savoir si ça a du sens, au niveau de l’histoire et aussi au niveau de la mise en scène. Si ma page est équilibrée, vraiment finie en noir et blanc, ça veut dire qu’à la couleur ce sera facile, ça veut dire que j’ai tout résolu : mes dialogues, mes jeux de personnages, mes ambiances. La couleur va accompagner, mais certainement pas venir remplacer ou remplir des cases manquantes. Ce serait vraiment dû à une flemme de départ, et il y aurait un problème à l’arrivée parce que la couleur ne peut pas remplir ce rôle-là, en tous cas pas dans la façon dont je l’envisage : il faut vraiment que ma page soit finie en noir et blanc. Elle est finie quand elle est finie en fait, ça s’impose ! Il n’y a pas vraiment à se dire… Si je commence à faire des ajouts et je me dis « houlala, je m’embarque dans un truc, ça va être compliqué, où je ne vais pas en voir le bout », je ne le fais pas. Il faut aussi être cohérent, c’est-à-dire que quand j’ai fait deux, trois, quatre, cinq pages qui me conviennent avec une certaine forme, je continu avec cette forme : je ne vais pas sortir les hachures d‘un seul coup alors qu’auparavant je n’ai fait que des aplats. Il y a un moment où on sait que c’est fini. C’est comme quand on cherche un personnage, il y a un moment où on sait que c’est lui ou que ce n’est pas lui. Ça s’impose naturellement.

D’accord. Pour finir à propos de ton travail, nous avons parlé de tes influences tout à l’heure et j’aimerai savoir si tu penses que tu influences ? Es-tu déjà entré dans une librairie pour y trouver un style graphique qui ressemblerait au tien ? Est-ce que tu t’es déjà dit « ça ressemble à ce que je fais » ?

C’est difficile à dire. D’abord, je ne me rends pas vraiment compte, de façon sûre, de ce qu’est mon style. Ce que je n’oublie pas, par contre, c’est, quand j’ai fait une case, comment je l’ai composé, quand j’ai dessiné un personnage, comment je l’ai habillé par exemple. Ça m’est déjà arrivé, c’est vrai, de voir des pompages de certaines cases dans la BD des autres, mais très rarement. Je ne dirai pas que c’était du style, je ne me suis pas dit « tiens, il m’a piqué mon style ». Par contre j’ai déjà vu des piquages de case dans l’album des autres, dont je ne citerai pas les noms. Ça m’est arrivé. Mais je ne dirai pas que j’ai identifié mon style…

En fait, il y a des auteurs comme ça. Par exemple, De Crécy… Certains auteurs sont intouchables ! Si on prend Bilal, personne ne fait du sous-Bilal, c’est grillé, tu fais du sous-Bilal t’es foutu, c’est impossible de pouvoir exister. Par contre un mec comme Christophe Blain, il a rayonné et des générations de dessinateurs lui ont piqué des tonnes d’idées. Je le vois, ce n’est pas mon dessin, mais je vois comment il dessine les chemises, comment il dispose de solutions graphiques sur des attitudes, comment il a fait croire qu’il dessinait un peu en dilettante alors qu’en fait c’est un virtuose ! Il a fait croire à des gens qui ne dessinent pas très bien qu’ils avaient le droit de faire la même chose, mais ça ne marche pas du tout ! Si ce n’est pas lui, ça ne marche pas ! Il y a des mecs comme ça… Certains sont intouchables comme Bilal, et d’autres irradient. Évidemment, un auteur comme Giraud, n’en parlons pas… J’ai du mal à voir si j’ai une ‘influence’ chez les autres, par contre, comme je disais, un dessin que j’ai dessiné, que je vois dans la BD d’un autre, je le sais. Je ne vois pas le style, mais je vois la forme en tous cas. Et je ne sais pas si je dois prendre ça comme un compliment ou pas. C’est difficile parce que c’est une espèce de piquage qui peut engendrer des réactions de colère. Parce qu’au final, on ne peut rien y faire, c’est comme ça.

Mais attention, je trouve ça dégueulasse qu’on copie ses contemporains. On peut être influencé, mais on va chercher ailleurs, on est plus intelligent. On va regarder, je ne sais pas moi, les dessinateurs d’il y a cent ans, on va chercher d’autres solutions. On ne peut pas recopier, pomper un style. On peut le faire, mais sur son bureau, dans un carnet de croquis. On peut apprendre des choses, on recopie pour apprendre des choses, c’est même une super école de recopier des photos, de recopier les dessins des autres. Par contre, quand on fait une page de BD qui va paraître, dans un journal ou dans un album, on fait attention ! On essaie de trouver son propre style ! Alors, évidemment, quand on est jeune, on a dix-huit, vingt ans, vingt-cinq ans, ça peut glisser, on peut ne pas s’en rendre compte, mais à trente-quarante ans, avec l’expérience, on doit faire attention… Je trouve que sinon c’est un manque d’exigences artistiques. Bon. Alors, est-ce que c’est du vol ? Est-ce que c’est un hommage ? Ce qu’il faut savoir, si on prend un auteur comme Blutch par exemple, ce qui est très marrant, c’est que pour lui c’est bien, ça le pousse à faire mieux : il invente un quelque chose, cinq ans après, tous les jeunes auteurs des écoles d’art et quelques contemporains lui auront piqué, puis quand eux sortent leurs bouquins, Blutch ça va, il avait déjà pris de l’avance, il est sur autre chose et il invente. Je ne dirai pas qu’il invente un nouveau style, mais il amène une nouvelle personnalité dans un nouveau projet avec un dessin encore plus incroyable, et cinq ans après les mecs recopient ça et ils sont toujours en retard d’un train, c’est assez marrant de voir ça.

Il y a un autre auteur, en jeunesse, un auteur que j’adore, qui s’appelle Marc Boutavant, qui fait Ariol : c’est l’auteur jeunesse le plus copié qui soit. À tel point qu’aujourd’hui il y a toute une génération, je dirai même la moitié de la production en illustration jeunesse qui lui doit énormément. C’est un auteur qui cartonne, qui fait des dessins magnifiques, qui a inventé quelque chose, qui a eu des influences, évidemment, d’autres grands auteurs, mais ça ne se voit pas ! Ça ne saute pas aux yeux. Je sais qu’il adore un auteur comme Richard Scarry, un illustrateur anglais un peu plus ancien, ça ne se voit pas dans son dessin. Mais on le sait, ça transparait. Mais sauf que les mecs qui derrière, vont faire du sous-Boutavant, ça se voit ! Ce qui est horrible c’est qu’il va y avoir des directeurs éditoriaux qui cautionnent, des rédac-chef qui disent « bon, Boutavant il peut illustrer cette histoire ? », « non désolé il n’a pas le temps », « c’est pas grave on va appeler le sous-Boutavant ». Il y a un Boutavant 2, un Boutavant 3, un Boutavant 4 et Boutavant il fait bosser ces gens, qui bénéficient qu’on dise « finalement c’est dans l’air du temps ». Sauf que ça vient d’un seul homme. Et lui il s’est fait dépouiller, régulièrement. Alors, à chaque fois, son nouveau bouquin aura toujours un coup d’avance, comme Blutch, il va chercher plus loin, il trouve de nouvelles inspirations. Je pense que depuis il est un peu blasé, il fait avec, mais est-ce que c’est un compliment ? En fait je pense que c’est surtout un manque de culture. Je pense que les jeunes qui sont en école d’art se contentent de regarder du Boutavant en fait. Bien sûr, il y a des styles qui sont dans l’air du temps, des types d’illustrations ‘à la façon de’, un peu à la vintage par exemple, c’est vraiment récurent, mais lui, typiquement c’est un auteur qui s’est fait dépouiller. Je trouve ça hallucinant. C’est un auteur pour les auteurs. Blutch est un dessinateur pour les dessinateurs. Comme Giraud a été un dessinateur pour dessinateurs, en plus d’être aussi un dessinateur grand public en ce qui le concerne, mais, il y a eu du sous-Moëbius, il y a eu du sous-Giraud, il y a des sous-Blain, des sous-Blutch et il y a des sous-Boutavant. Je ne vois pas ça pour moi et du coup, tant mieux. En plus je vois très bien de quoi je suis fait et je suis une synthèse de différentes influences, tout le monde est une synthèse de plein de trucs, mais disons que je ne vais pas faire du sous-Péyo dans le même journal que Péyo. Ça, c’est quand même assez interdit. Bon, je ne suis pas de son époque donc ça n’arrivera jamais, mais je ne vais pas recopier du Blutch ou Boutavant dans un journal où je sais qu’ils paraissent, ce n’est pas possible.

Pour rester dans cette optique de comparaison de la création en bande dessinée et élargir encore la réflexion, est-ce que tu pourrais me donner ton avis sur la place de la BD ? En France, dans le monde, et justement vis-à-vis de la surproduction et des éditeurs qui vont chercher, du sous-Blutch et du sous-Boutavant, quelle est la place de la bande dessinée aujourd’hui ?

C’est difficile de parler de ça parce qu’elle est ce qu’elle est. Qu’est-ce qu’elle serait ? Qu’est-ce qu’elle a été ? Elle a été toute petite, sous-aimée et sous-exploitée, elle a pourtant fasciné des générations et grâce aux jeunes lecteurs qui ont grandis, la BD s’est développée. Je fais quand-même partie des derniers auteurs qui ont été en école d’art et qui avaient honte de faire de la bande dessinée. À qui ont disait, « cache ça, tu vas te faire saquer ! » : il y avait un projet d’architecture, il fallait mettre des personnages en situation et je me faisais saquer parce que mon personnage été dessiné dans un style BD, je ne faisais même pas exprès, il fallait dessiner un bonhomme, devant un immeuble… Alors que j’avais travaillé l’immeuble, pour répondre à l’exercice, je faisais le bonhomme en situation et on me disait « non non non ! », donc tout mon boulot, pendant une période, c’était que surtout, ça ne fasse pas BD, c’était hyper dur. Donc moi, je viens de là. Et qu’est-ce que ça a créé ça ? Ça a créé encore plus de rage, encore plus d’envie, encore plus de besoins et une énergie supplémentaire. Aujourd’hui la bande dessinée est en école d’art, grâce à ma génération, qui ne faisait pas partie de la génération de la BD classique, mais ce qu’on appelle la Nouvelle Bande Dessinée7, des gens qui ont à peu près mon âge, à peine plus âgé, Sfar, Blain, Blutch, etc. Ces mecs-là ont donné des lauriers à la bande dessinée, il l’ont rendu acceptable pour, des journalistes de presse classique et pour des non-lecteurs de bandes dessinées. Du coup, la bande dessinée a commencé à acquérir du prestige grâce à eux, ce qui a changé le discours reçut par les élèves qui voulaient faire de la BD en école d’art, d’un coup on disait « waouh, classe ! ». En quelques années, ça s’est complètement inversé.

Aujourd’hui, on arrive à une production sur plein de niveaux différents, il y a la BD classique, grand format, couleur, la BD familiale, un compartiment jeunesse et un compartiment BD grand public type graphic novel, des dessins dits intellos, il y a une espèce de profusion… On va dire que c’est de la surproduction, mais le support qu’est la bande dessinée est maintenant vraiment développé. Le spectre de la production est immense et, effectivement, on peut dire qu’il y a trop. Mais il y a trop de romans, il y a trop de livres de photos… C’est génial parce qu’on est encore un pays où la production est incroyable, c’est fou… Il y en a trop, parce que c’est un gâteau et qu’on a tous envie d’avoir une plus grosse part, c’est difficile de diviser. Quand on voit une BD qui est extraordinaire et qui récolte des miettes, qui reste un mois en librairie et qui disparait, quand elle est en librairie, c’est juste rageant. Avec ça il y a aussi une émulation créative, énormément de choses qui se passent. On a la chance, en France, d’être dans un pays où il y a tellement de production, il y a tellement de libraires, il y a tellement de création… J’ai l’impression que les américains n’ont le droit d’écrire que des succès, c’est peut-être une vision fausse, mais tant mieux pour nous. Ça doit être horrible, écrire, écrire, écrire, et ce ne sera publié que si c’est un succès, avec des agents qui vont vendre le livre. Aux États-Unis, il paraît qu’il n’y a plus de librairies, même à New-York, c’est rarissime, on met tout sur tablette… En France il y a des libraires qui s’ouvrent encore, on est un des rares pays dans le monde où ça ouvre encore. On un prix unique du livre, merci Jack Lang, ça a sauvé l’édition…

Je dis ça et en même temps il arrive, pour les auteurs, des jours plus sombres. En ce qui concerne les auteurs, mais aussi pour la création, il arrive des jours plus sombres. Parce que quand un auteur n’arrivera plus à vivre de son art, il fera autre chose et il n’y aura plus de création. C’est ce qui se passe en ce moment, à cause de la crise et de la façon dont l’État a besoin de pognon, qui va les faire saigner à blanc ce qu’il reste du peu d’argent de la création, que ce soit au niveau de la musique avec les intermittents, au niveau des retraites des auteurs, la rentabilité du livre descend, les éditeurs baissent les prix de page, ça ne va pas bien. Mais on a encore la chance d’avoir un support et un marché de la bande dessinée qui nous sont enviés mondialement. Les Espagnols qui veulent faire de la BD, ils ont envie de venir en France, le chemin inverse ne se fait pas. Il y a la France, la Belgique et la Suisse. C’est l’école francophone de bande dessinée qui vit. Enfin qui fait vivre des auteurs, parce qu’après aux États-Unis il y a beaucoup, au Japon aussi, il y a des ateliers, etc. Mais la façon dont on voit la bande dessinée en France, c’est vraiment une exception et c’est une vraie richesse. Effectivement, on peut renier la surproduction, mais en même temps, c’est quand même le signe qu’il y a quelque chose de fort qui existe et qu’on a de la chance. Moi, si aujourd’hui je peux vivre de mon boulot, c’est aussi parce que j’ai pu y croire et que j’y ai mis autant d’énergie. Si aujourd’hui je sortais de l’école d’art et qu’on me disait « ne fais pas ça parce que tu vas te clochardiser » – parce qu’en gros c’est ce qui va se passer pour les auteurs de BD dans les dix ans qui viennent, y’en a qui vont se retrouver sans plus de revenu du tout – évidemment je ne l’aurais pas fait. Combien d’auteurs, avec moi, ne l’auraient pas fait ? C’est ce qui, finalement, va tuer ce secteur.

Aujourd’hui, l’art à la française, la création à la française, c’est quelque chose qui est important, qui est mondialement connu, que le monde entier nous envie et qui est aussi en voie d’extinction parce que l’État fait des coupes franches dans les budgets, alors que c’est un secteur qui rapporte, il n’y a qu’à voir les intermittents, ils disent « on rapporte du pognon ! », et c’est comme l’édition qui, elle-aussi, rapporte de l’argent. Mon Lucky Luke je vais payer des impôts dessus, et c’est très bien, je vais payer mes charges, c’est un secteur commercial qui rapporte de l’argent. Pour moi, la surproduction, ce n’est pas bien, mais ça montre que quelque chose de fort existe et c’est encourageant. Et puis, la France exporte des Rafales, elle importe des kalachnikovs, des trucs fait en Allemagne, fait en Chine, qu’est-ce qu’elle exporte ? Elle exporte quelques avions mais aussi, et surtout, sa culture. Tant qu’elle fait vivre sa culture, elle aura un rayonnement international. Les Russes voudraient pouvoir avoir une culture qui rayonne comme la nôtre. J’ai rencontré des Russes qui ont l’amour de la France, ils ont vu l’art, ils ont entendu des chansons, Édit Piaf, il y a tout un culte, toute une imagerie, exotique presque, pour l’étranger, sur la culture française, sur la mode… Même le cinéma français est super vivant, très peu de pays ont un cinéma aussi vivant, je veux dire à part les États-Unis, du cinéma espagnols on n’en voit pas beaucoup…

L’Inde ?

Oui l’Inde, dans un genre ! Mais c’est la preuve d’un pays qui a une espèce de puissance, qui n’est pas une puissance militaire. Les militaires ont des budgets de malades hein, eux ils n’ont pas beaucoup de coupes franches… Pourtant, la culture aussi est un vrai secteur d’existence, de puissance internationale. Si on élargit le champ de la réflexion.

D’accord, merci. Pour finir, est-ce que je pourrai avoir ton point de vue si possible, vis-à-vis de la place des femmes dans la bande dessinée ?

Illustration/couverture de Texas Cowboys, © 2011, Dupuis, Matthieu Bonhomme, Lewis Trondheim

C’est-à-dire ? À quel niveau ? En tant qu’auteur ? Ou personnage de BD ?

En tant qu’auteures, personnages de BD, scénaristes… Vaste question…

Ou pas en fait, parce que, je ne sais pas comment dire… Soit on en fait une question, soit on n’en fait pas une question, parce que c’est normal qu’il y ait de la parité dans notre profession qui est une profession artistique. Les artistes femmes sont aussi talentueuses et aussi valables que les artistes hommes, elles font des bouquins parfois excellents, parfois pas bons, comme tout le monde, elles ne sont pas nombreuses en bande dessinée, mais ça change, parce que la bande dessinée a récupéré de nouvelles casquettes, de nouveaux secteurs qui correspondent plus à des sensibilités féminines. Je pense que les femmes ont été des petites filles et il n’y a que depuis quelques années qu’elles ont trouvé, dans leurs lectures de jeunesse, une vraie envie de devenir, elles aussi, auteure de bandes dessinées. Moi quand j’étais petit garçon, j’ai voulu faire de la BD parce qu’il y avait des chevaliers, parce qu’il y avait des cowboys, c’est tout. C’est quelque chose qui est en train de changer depuis quelque temps, mais, les auteurs étaient des mecs, ils racontaient des histoires pour les petits garçons et les filles ne trouvaient pas forcément leurs plaisirs d’histoires ou de rêveries dans la bande dessinée parce qu’elle était très masculine. Maintenant les choses ont changé, on voit arriver des auteurs femmes, ce qui est super bien, super important. Elles sont encore sous-représentées, mais parce qu’elles ne font pas beaucoup d’Heroic Fantasy, elles ne dessinent pas beaucoup de Western, ce genre de chose… Ça aussi c’est en train de changer, et elles s’accaparent de nouveaux genres, qui n’étaient pas, au départ, des genres féminins.

Dans la production masculine, et pour garçon, la façon dont son dessinées les femmes, je ne sais pas… Je ne sais pas quoi en dire… Dans les bonnes bandes dessinées, il y a des bons personnages, dans les mauvaises bandes dessinées, il y a des mauvais personnages. Dans une mauvaise bande dessinée, la femme sera une espèce de prostituée habillée avec des attributs de mec, un gros flingue, et caetera, dans les bonnes bandes dessinées, le personnage féminin se comportera comme une femme, sensible dans un univers crédible et ça fera un beau personnage féminin. Je vais prendre un genre comme le Western : c’est un genre de mec, les personnages principaux sont des mecs, les histoires sont des histoires de mecs, les résolutions nécessitent généralement l’intervention de la violence. Donc, où est la place de la femme ? Dans les mauvais films, la femme c’est une cruche, dans les bons films, le personnage féminin est super fort et super touchant, justement parce qu’autour d’elle il n’y a que des mecs, bourrins, craspouilles, violeurs en puissance… En bande dessinée on a un peu la même chose avec les personnages féminins.

Je suis assez féministe, personnellement. Moi ma mère, c’est une femme qui a eu quatre fils et elle nous a assez vite fait comprendre que ce n’était pas elle qui allait tout faire à la baraque, ça n’allait pas être notre boniche. Les choses changeaient, c’était la génération des femmes qui travaillaient. Je ne comprends pas pourquoi une femme serait moins bien payée qu’un homme. La femme est l’égale de l’homme. Elle ne sera pas mieux, mais elle ne sera pas moins bien. Je veux dire, à la tête du MEDEF, on a une sacrée couillonne. Ça aurait été un mec, ce serait un sacré couillon, je ne veux pas dire que c’est une couillonne parce que c’est une femme, mais en échange elle a sa place, elle a tout à fait le droit d’avoir un poste à responsabilité comme ça. Pour moi il y a une vraie égalité. De, trop se battre pour la femme, arrive aussi à un moment, un côté un peu condescendant, un côté paternaliste, et on l’a vu, il y a eu un scandale. Enfin un scandale… Il y a eu des histoires au moment d’Angoulême, j’ai trouvé ça super drôle parce qu’il y a eu « quoi ?! Il n’y a pas de femme dans la sélection du grand prix ?! », génial, et tout le monde dit « oh Riad, c’est magnifique ce que tu fais, de prendre la parole pour les femmes » et assez vite des femmes ont pris la parole pour dire « eh oh, ça va ! Ça y est c’est un mec, c’est le chevalier blanc ?! », c’est difficile de se positionner dans ces cas-là…

C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de femmes représentées dans la bande dessinée et qu’au niveau des grands prix, comme les femmes sont arrivées dans la bande dessinée récemment, on récompense des carrières qui sont souvent de longues carrières… Alors ce qui est bizarre c’est, pourquoi il y eut Marjane Satrapi une année ? Pourquoi n’est-elle plus là ? Ça, c’est une autre question… Je n’ai pas envie de traiter les femmes de façon condescendante, par contre je considère qu’elles sont parfaitement égales et légitimes à faire ce boulot et quand je vois un personnage féminin dans une BD, qui est juste une poufiasse avec des gros nichons et une mitraillette, je trouve ça absolument ridicule, pour moi c’est juste un fantasme de puceau qui veut dessiner des gros nichons parce que comme il n’en a pas chez lui, il faut qu’il les mette sur le papier, j’ai l’impression que c’est un peu ça… Après je trouve qu’il peut y avoir, dans des aventures de fiction et dans des univers qui sont parfois très masculins et dans des genres très typés viriles, comme le Western, la possibilité de faire des beaux personnages. C’est un truc que j’ai vraiment apprécié dans la production et dans l’écriture du scénario de Lewis pour Texas Cowboys, je l’ai découvert à écrire des portraits féminins vraiment beaux : il y a une femme forte qui dirige un troupeau et qui doit faire la leadeuse à une époque ou c’est sans doute difficile, qui se fait jeter dans la boue et pour qui on a beaucoup de tendresse alors que c’est une dure, et puis il y a une petite jeunette comme ça, qui fait des choix un peu débiles, qui est touchante, j’ai aimé les dessiner à la fois pour leurs caractères, mais aussi pour leurs beautés. Je voulais que ce soient des belles femmes, de types très différents. Je pense que dans l’Ouest putain, être une femme ça devait être super balaise ! J’ai vu un film il n’y a pas très longtemps qui s’appelle La chevauchée des bannis, il y a une bande de cinq/six, hors-la-loi qui arrivent dans un tout petit bled où il n’y qu’une dizaine de personnes et ils s’en emparent. Ils foutent la pression à tout le monde, il y a une soirée de bal, ils obligent tout le monde à aller au bal, ils dansent avec les nanas et t’as l’impression qu’ils vont les violer, c’est d’une violence, et les femmes, dans un univers pareil, c’est horrible, atroce… Pourtant, je sais qu’il y a des belles choses à dire, et les bons films, dans le Western, parlent bien des femmes, avec respect, avec réalisme, avec tendresse aussi.



1 Maurice Tilleux (1921-1978) est un auteur Belge de bandes dessinées. Il est connu notamment pour Gil Jourdan, son travail dans Natacha et dans Tif et Tondu.

2 Jijé, Franquin est Morris sont, dans l’après-guerre, les piliers du Journal de Spirou. Jijé est un véritable chef d’orchestre et accueille chez lui Franquin et Morris. Cette amitié se prolongera d’un voyage aux États-Unis à la recherche du rêve américain : il faut lire Gringos Locos de Yann et Schwartz !

3 L’âge de raison est le premier album pour lequel Matthieu Bonhomme est à la fois dessinateur et scénariste. Paru en 2002 aux Éditions Carabas.

4 Victor & Anaïs est le premier album de bande dessinée de Matthieu Bonhomme, avec Jean-Michel Darlot au scénario. Prépublié en 2000 dans Okapi et paru en 2002 aux Éditions Carabas.

5 Le Voyage d’Esteban (t. 1-2), puis Esteban (t. 3, 4 et 5), est la première série que Matthieu Bonhomme réalise seul, en tant que dessinateur et scénariste. Le premier cycle est paru dans le magazine Capsule Cosmique des Éditions Milan pour les deux premiers tomes, de 2005 à 2006, puis aux Éditions Dupuis pour les trois derniers, de 2009 à 2014.

5L’ouvrage Story dont il est question condense les séminaire de Robert McKee, grand spécialiste du scénario cinématographique, pour les plus curieux, voici son site.

5L’utilisation du terme ‘Nouvelle Bande Dessinée’ en tant que courant artistique est encore peu utilisé, même s’il semble très juste..

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